Droits de l’homme : situation encore complexe en Haïti

précédent suivant
10 déc 2014

Droits de l’homme : situation encore complexe en Haïti

Photo : Victoria Hazou - UN/MINUSTAH Photo : Victoria Hazou - UN/MINUSTAH

 

 

Il est encore tôt. Mais la journée a commencé depuis longtemps déjà pour de nombreuses personnes. En plein cœur du centre-ville de Port-au-Prince, devant le Pénitencier national, la principale prison d’Haïti, Mme Pierre, au milieu d’une cinquantaine de personnes, en majorité des femmes, est en ligne sous une ‘’véranda’’, pour apporter à manger à son bien-aimé, incarcéré.

« Mon calvaire a commencé au lendemain de l’arrestation de mon mari, un bon matin de décembre 2010, dans la salle d’attente d’un hôtel de Pétion Ville. Il se trouvait au mauvais moment, au mauvais endroit, en compagnie de deux autres hommes », s’essouffle-t-elle.

Un sachet en plastique jaune déposé devant ses pieds, et dans la main, une de ces petites boites de fromage en carton contenant huit petites pièces ou carrés, qu’elle vient d’acheter d’une détaillante assise justement dans cette partie de la rue, bloquée à la circulation automobile, mais ‘’ouverte’’ aux activités commerciales et aux passants.

Cette dame, dans la quarantaine, mouchoir bleu enroulé protégeant ses cheveux, présente un visage fatigué, malgré son ‘’maquillage’’ visiblement fait à la va-vite.

L’essentiel, pour elle, était d’arriver ici avant 9 heures, l’heure de réception des repas à la prison. Et cet exercice, elle le fait chaque jour ou presque, depuis l’arrestation de son mari, il y a plus de trois ans.

Pierre sortait d’un supermarché quand il a entendu une voix citer son nom, raconte-elle, les yeux couronnés d’eau qui ne demande qu’à couler. Un condisciple, d’ailleurs originaire de sa ville natale, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps s’est approché, l’a salué, puis un peu de bavardage avant de l’inviter à voir un autre ami, logé comme lui pour la journée dans un hôtel proche.
Les deux compères, selon Mme Pierre, impliqués dans une affaire de fausse monnaie, étaient recherchés par la police.

Après une nuit au commissariat de Pétion Ville, et une audition par un juge, ils ont été envoyés au Pénitencier national, raconte la dame, s’essuyant les yeux avec le mouchoir utilisé auparavant pour sécher son visage en sueur.

« Chaque fois que je réfléchis aux conditions dans lesquelles il vit à l’intérieur, je ne peux m’empêcher de pleurer », soupire-t-elle, levant les bras vers le ciel comme pour implorer Dieu.

Capable d’accueillir 1 500 détenus, le Pénitencier national en compte pour l’heure plus de 4 600. Certains passent souvent la nuit debout, ou accroupis, alors que d'autres dorment suspendus dans des hamacs de fortune fabriqués avec des morceaux de tissus.

A cela s’ajoute le fait que les anciens, avec la complicité de certains gardiens, ont parfois recours à la violence et d’autres pratiques peu orthodoxes pour obliger les nouveaux détenus à se conformer à la réalité de la prison. Ce qui, pour l’ex-chef de Parquet, Francisco René, est tout simplement, « un passage obligé » permettant de « rester en vie ».

Dans cet espace ou à l’entrée, les traitements ne sont trop différents pour détenus et parents, explique Mme Pierre.

 

 

 

 

« La question des droits humains semble loin d’être une priorité pour l’Etat », regrette Antonal Mortimé, secrétaire exécutif de la Plateforme des organisations haïtiennes de défense des droits humains, POHDH. Pourtant souligne-t-il, Haïti, en tant que Nation, est le fruit d’une lutte en faveur du respect des principes fondamentaux de droits de l’homme.

 

 

 

 

Nombreux sont encore les défis qui restent à surmonter en matière de respect des droits de l’homme et de liberté en Haïti, note M. Mortimé qui qualifie la situation d’ « alarmante ».

Cependant, les problèmes ne sont pas « immensément » complexes, tranche la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH, (SDH). Car soutient cette entité, « plusieurs des violations qui nous préoccupent le plus ne sont pas le résultat d’une volonté délibérée de mal faire, ni le résultat de l’ignorance de la loi ni des droits de l’homme, mais plutôt le résultat d’un laxisme répandu et envahissant ».

Un laxisme qui retient en détention préventive plus de trois quarts des 11 000 personnes derrière les barreaux dans des conditions « dégradantes et infrahumaines », comme les qualifie l’Office de la protection du Citoyen, OPC.

Un laxisme qui oblige plusieurs milliers de mères, frères, sœurs et pères de famille à l’instar de Pierre dont la femme soutient qu’il a été « illégalement arrêté », à pourrir en prison dans des conditions « contraires à toute notion de dignité humaine », au lieu de « contribuer au développement de leur famille et de leur communauté », souligne la SDH.

Rédaction : Pierre Jérôme Richard