Entrevue de Mourad Wahba Représentant spécial adjoint du Secrétaire général

18 aoû 2016

Entrevue de Mourad Wahba Représentant spécial adjoint du Secrétaire général

Mourad Wahba

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

 

Journée mondiale humanitaire 2016

Question : Vous êtes le coordonnateur résident des Nations Unies et le coordonnateur humanitaire, Représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). En prélude à la Journée mondiale humanitaire, il y a eu le Sommet humanitaire du 23 au 24 mai dernier à Istanbul. Que peut-on retenir de ce Sommet par rapport à Haïti?

Réponse : Tout d’abord, c’était le premier sommet humanitaire de l’histoire du monde. C’était la première fois qu’il y a eu une réunion de plus de 55 chefs d’état et de gouvernements de 173 pays dont Haïti, représentée à très haut niveau, au niveau ministériel, par plusieurs ministres – la santé, la planification – qui ont décidé de revoir un peu l’approche humanitaire dans le monde. Il y a aujourd’hui près de 190 millions de personnes dans un besoin de secours humanitaire. Cet accroissement de la demande humanitaire, qui se reflète dans l’accroissement de la demande humanitaire en Haïti également, demande une pause pour réfléchir. Pourquoi autant de monde a besoin d’aide humanitaire et comment pouvons-nous faire aux Nations Unies, mais également parmi les autres membres de la communauté humanitaire, pour réduire cette demande humanitaire, pour réduire le besoin dans lequel les populations se trouvent ?

En Haïti plus particulièrement, je pense que certainement depuis le début des années 2000 et en particulier depuis le séisme du 12 janvier 2010, il a une population qui est constamment dans un besoin d’aide humanitaire. Et l’intérêt pour nous aujourd’hui est certainement de pallier à ces besoins, d’y répondre, mais également de se poser la question « Pourquoi n’arrivons-nous pas à sortir d’une crise humanitaire aujourd’hui ? »

Question : 6 ans et 6 mois après le séisme de 2010, comment est la situation humanitaire en Haïti ?

Réponse : La situation humanitaire en Haïti – et c’est un thème qui a été repris lors du Sommet humanitaire, c’est pour cela que c’est important pour Haïti – est basée sur une grande vulnérabilité. D’autres pays sont sujets à des maladies infectieuses, d’autres pays sont sujets à des changements climatiques, à de aléas climatiques. Mais ce qui frappe le plus, c’est la vulnérabilité de la population en Haïti et c’est là que nous devons travailler, pour réduire cette vulnérabilité, et donc les besoins humanitaires de la population. Et la réduction de la vulnérabilité passe par la réduction de la pauvreté et par le développement durable.

Question : L’Organisation Non-Gouvernementale ACTED a parlé de production agricole moins abondante suite à une baisse du volume pluviométrique. La Coordination nationale de sécurité alimentaire (CNSA) a mentionné dans le bulletin de décembre dernier une sécheresse alarmante. Quelle est la situation en termes de sécurité alimentaire, d’agriculture et de nutrition ?

Réponse : La situation demeure sérieuse en ce qui concerne la sécurité alimentaire mais je suis heureux de vous dire qu’il y a une amélioration. Suite aux pluies de ce printemps, la récolte de printemps a été bien meilleure que celles des années précédentes. Et donc je pense que nous voyons une réduction de la population en situation de besoins, en sécurité alimentaire grave. En nutrition par contre, nous continuons à avoir des besoins, surtout en ce qui concerne les enfants de moins de 5 ans, qui sont en déficit d’apports nutritifs. Il y a un programme pour pallier ces déficits.

Mais revenons à la pluviométrie et à l’agriculture. Le problème à la base n’est pas qu’il y ait eu El Nino ou la Nina ou encore une sécheresse. Le problème pour moi est le fait que l’agriculture haïtienne soit moins résistante que d’autres systèmes agricoles, à des variations de pluviométrie. Donc, s’il y a trop de pluie une année, la récolte est mauvaise ; s’il ne pleut pas assez, la récolte est mauvaise. Comment pouvons-nous arriver à un système agricole résilient, qui puisse être moins vulnérable aux changements climatiques ? C’est là la vraie question pour Haïti.

Question : en matière de santé, on sait également que le cholera a pris une proportion alarmante. Ou en est-on dans la réponse au cholera ?

Réponse : Revenons au cholera et je vais faire un lien avec le développement. Le choléra, certainement, en comparaison à la même période l’année dernière, voit une petite croissance. Le nombre de cas suspect augmente : nous sommes à plus de 23 000 cas à la fin du mois de juillet. C’est dû en partie à la pluviométrie. Mais c’est surtout dû au manque de ressources en eau et en assainissement. Et je sais que c’est là que nous devons également travailler. Au cholera, et je l’ai déjà dit sur les ondes de MINUSTAH FM, il y a deux réponses : il y a une réponse immédiate qui est une réponse d’urgence, pour s’attaquer aux cas suspects, pour réduire la létalité de la maladie, pour pouvoir également chlorer les environs des zones où la maladie se déclare ; mais il y a également une réponse à long terme qui vise à améliorer la santé en Haïti, qui visent à améliorer l’assainissement en Haïti, pour à long terme réduire non seulement le cholera mais toutes les maladies hydriques – je pense par exemple au typhus, on a eu quelques cas déclarés récemment. Et encore une fois c’est une question de développement à long terme. Et c’est exactement la même dynamique que nous voyons avec la sécheresse. Il y a un incident climatique ; et à la base une vulnérabilité en matière de développement de l’agriculture. Pour le choléra, pour les autres maladies hydriques – il n’y a pas que le choléra, il y a beaucoup de diarrhées infantiles par exemple – nous avons le virus, le virion en lui-même, qui est présent et auquel il faut s’attaquer, mais nous avons également une déficience en matière d’eau et d’assainissement qui a long terme va réduire toutes ces incidences de maladies.

Question : et dans le même temps, les Nations Unies ont lancé une campagne de vaccination contre le choléra…

Réponse : Oui. Le vaccin contre le choléra a beaucoup gagné en efficacité ces dernières années. Nous sommes aujourd’hui à une efficacité de peut-être 65%. Nous avons commencé cette campagne de vaccination cette année en 2016, en Arcahaie, du côté de Cabaret, avec 118 000 personnes vaccinées contre le choléra. L’important, pour que le vaccin soit efficace – le vaccin n’est pas suffisant, il est nécessaire mais pas suffisant – est de changer les habitudes. Par exemple, le lavage des mains, une chose aussi bête que le lavage des mains, et surtout, mettre à la disposition des habitants de l’eau chlorée, de l’eau propre à domicile. Et c’est cette combinaison de vaccin et de chlore qui va nous aider à vaincre le choléra. Pour l’année prochaine, nous projetons de vacciner une population beaucoup plus grande. Et ce vaccin sera également accompagné d’adduction d’eau potable, de capacité de chloration, et d’assainissement pour être plus efficace.

Question : Parlons maintenant de la crise binationale…

Réponse : La crise binationale, pour moi, a deux grandes sources. Tout d’abord, je pense qu’il y a un élément politique et juridique sur un accord qui devrait être trouvé entre les deux républiques qui se partagent l’ile d’Hispaniola, sur le mouvement des populations. Il y a également, je pense, la nécessite d’établir un état-civil qui couvre la population haïtienne et qui est un droit de chaque homme, femme ou enfant. Il y a un droit à l’état-civil, il y a un droit à la reconnaissance de l’Etat de votre naissance ou accessoirement du décès. Les gens ont droit à avoir des papiers. Une partie de ce problème binational est que les gens partent en République dominicaine, en Dominicanie, sans avoir les papiers nécessaires. Maintenant, la question est : pourquoi ? D’un côté, il y a le chômage ; d’un autre côté, il y a une grande pauvreté en Haïti, relative par exemple à la situation en République dominicaine. Et encore une fois, il y a des effets humanitaires, il y a plus de 130 000 personnes qui, depuis le mois de juin 2015, ont traversé la frontière venant de République dominicaine vers Haïti. Il y a peut-être 30 000 personnes qui ont été déportées. Les chiffres varient entre les chiffres que nous avons à la frontière et les chiffres déclarés en République dominicaine, disons entre 28 000 et 34 000 personnes. Pour moi, la question à se poser est : pourquoi les gens traversent-ils la frontière ? Et comment peut-on assurer à la population haïtienne des sources de revenus valables en Haïti, pour qu’ils n’aient plus ce besoin de passer la frontière pour chercher du travail, et qu’ils ne soient plus sujets à ce genre de déportation.

Question : le séisme de janvier 2010 a fait plus d’un million et demi de déplacés, lit-on sur le site de Relief Web. En juin 2011, 680 000 personnes vivaient encore dans les camps, selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les refugies. Quelle est la situation des déplacés internes aujourd’hui  en Haïti ?

Réponse : On voit une grande amélioration. Les déplacés internes à cause du séisme sont passés de 680 000 a 60 000. Les chiffres disent 62 000 mais je pense qu’il y en a un peu moins, parce qu’il y a eu des évacuations de camps, par exemple le Meca 4, ces derniers temps. Et c’est terrible de voir des gens qui vivent dans des tentes, dans des abris soi-disant temporaires six ans après le séisme. C’est trop. Ou trouver une réponse ? Il y a certainement une réponse humanitaire. Il faut aider ces personnes à trouver un logement fixe, stable et décent. Mais il y a  également pour moi une question de planification urbaine, de construction de logement, de nouveaux quartiers, pour donner aux gens qui sont dans des camps l’occasion de vivre dans un logement décent. Vivre dans un camp n’est pas un choix, c’est une nécessité, et il faut pouvoir offrir à ces personnes, qui sont toujours déplacées 6 ans après le tremblement de terre, le choix et l’opportunité de vivre dans un logement décent.

Question : Il y a les gens qui sont dans les camps, et il y a également les catastrophes naturelles qui affectent ces gens-là. Comment est la situation camps-catastrophes naturelles-crise humanitaire en Haïti ?

Réponse : Haïti, de par sa position géographique, est sujet à des aléas climatiques, à des ouragans, à des tempêtes tropicales, ou encore à de grosses pluies qui détruisent les logements, qui forcent les gens à trouver refuge dans des abris. Les  catastrophes naturelles, nous ne pouvons rien y faire, elles sont là, c’est un fait de géographie, c’est un destin si vous voulez. Ce que nous pouvons faire, c’est accroitre la résistance de la population à ce genre de catastrophes naturelles, en améliorant par exemple les structures de bâtiments, en décourageant les constructions dans des zones inondables, en des systèmes d’alerte précoces et des modalités d’abris temporaires l’ors du passage d’une onde tropicale ou d’une tempête. Et il y a  eu  énormément de progrès qui ont été faits. Je salue ici les efforts de la Direction de la protection civile dans ce domaine ; il y a encore beaucoup à faire mais c’est un travail de long terme. Si vous me permettez de revenir au Sommet mondial humanitaire, comme c’est la journée humanitaire mondiale aujourd’hui. Une des conclusions de ce Sommet mondiale est que nous ne pouvons pas voir les crises humanitaires en isolation de l’action de l’homme, il n’y a pas un destin humanitaire, il n’y a pas de pays ou de sociétés qui vont souffrir plus que d’autres. Il y a des efforts à faire, et ce sont des efforts de développement et sur le long terme, qui vont nous aider à réduire la vulnérabilité  face aux crises.

Question : on a des crises et des problèmes en Haïti, liés aux catastrophes naturelles et à la vulnérabilité de la population. Connaissant la situation économique de pays, comment répondre à nos urgences humanitaires ?

Réponse : Pour les urgences humanitaires, il y a deux aspects. Il y a la coopération internationale tout d’abord. Et il y a en Haïti tout un tissu d’ONG haïtiennes et internationales, qui agissent pour réduire l’impact de ces crises humanitaires et pour réduire la vulnérabilité. Il y a également beaucoup de pays qui sont solidaires avec Haïti lors de catastrophes naturelles. Beaucoup d’effort ont été faits en agriculture, en gestion des risques et désastres, dans le domaine de la sante publique, pour que Haïti puisse elle-même trouver un chemin, à travers le développement, vers une réduction de cette vulnérabilité.

Question : comment aussi renforcer les efforts d’autonomisation des plus vulnérables, parlons des femmes, des enfants et des migrants s’il y en a ici en Haïti ?

Réponse : il faut le faire. Pour les migrants, je pense que la solution passe par deux éléments : par une révision de l’état-civil, ce qui est important. Et deuxièmement par une politique de l’emploi qui soutienne les efforts de migrants – personne ne veut vraiment aller travailler dans un « Battei », personne ne veut aller souffrir et aller couper de la canne dans un « Battei » chez les autres. Les gens veulent du travail, ils veulent du travail décent et ils veulent du travail chez eux. Et je pense qu’il faut aider des migrants potentiels à trouver un emploi décent en Haïti même.

Pour la situation des femmes, je pense que les femmes souffrent particulièrement de deux déficits : un déficit que je qualifierai de juridique où l’absence d’état-civil affecte particulièrement les jeunes filles à la naissance, car sans état-civil, il est difficile d’accéder à la propriete fonciere, d’avoir un prêt bancaire, etc. il y a également un deficit, comme partout dans le monde – et Haïti n’est pas unique dans ce domaine – d’attitude envers les femmes, un deficit culturel. Je pense que l’autonomisatin des femmes peut avoir un effet positif, montrer que la femme haïtienne travaille à l’égal de l’homme et merite un salaire egal à celui de l’homme.

Question : que peuvent faire les autorités haïtiennes pour prévenir ces problèmes et renforcer la résilience de la population ?

Réponse : J’ai été très impressionné lors d’un exercice de simulation - que nous avons eu la semaine dernière, le CMEX – d’une tempête tropicale dans le sud du pays, avec une évacuation, bien sûr simulée, à Camp Perrin. L’Etat haïtien a fait énormément d’efforts, et il a conscience de ce qu’il reste à faire. Je pense que c’est maintenant le devoir de la communauté internationale d’être solidaire avec l’Etat haïtien dans ses efforts de réduction de la vulnérabilité, pour pouvoir arriver à un stade beaucoup plus avancé.

Question : cette année, on célèbre  la Journée mondiale humanitaire en Haïti sous le thème « Yon seul Haïti, Yon seul humanité (Une seule Haïti, une même humanité), qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?

Réponse : La solidarité. Nous sommes une seule humanité et nous sommes solidaires au sein de la communauté internationale où je travaille par exemple et Haïti. Mais également « Yon seul Haïti » dans le sens que nous ne pouvons pas, que nous ne devons pas voir des personnes qui souffrent d’habitats insalubres, des personnes qui souffrent de manque d’état-civil, de personnes malades, comme un pays a part ; il y a une seule Haïti, et il y a une solidarité inter-haïtienne qui doit opérer également.