Haïti : La quinzaine d’un sauve-qui-peut

1 sep 2016

Haïti : La quinzaine d’un sauve-qui-peut

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

Rosita Pierre est une femme rurale, originaire de Sarazin, une section de la commune de Mirebalais. Ses activités quotidiennes se résument  en l’achat et la revente de volailles de toute sorte. Elle explore tous les marchés publics des environs ; tantôt pour acquérir, tantôt pour revendre ses acquisitions sur les marchés locaux des communes avoisinantes tels à Lascahobas, Saut-d’eau, ou Boucan Carré.

Sillonnant la place de long en large, Rosita va au-devant de toute personne susceptible de lui acheter une paire de volaille. Elle ne tardera pas à se faire un client…du moins, une proposition.

 « 800 gourdes. Cela doit faire des lustres que tu n’as pas acheté ou même mangé de poulets, camarade », s’exclame-t-elle, en réponse à une dame qui vient de lui proposer la somme 800 gourdes (environ 13 dollars américains à raison 65 gourdes pour $1 ) pour une paire de jeunes poulets pour laquelle elle réclamait 1300. La main droite tenant les volailles en exposition presqu’à hauteur de son visage, la main gauche sur sa hanche, l’air exaspérée, regardant son interlocutrice du coin de l’œil, Rosita éclate un rire moqueur.

« Tout le monde se plaint du coût exorbitant de la vie, mais à bien regarder, je vois que ce sont ceux-là même qui s’en plaignent qui contribuent à empirer la situation. C’est avec les poulets que vous espérez vous faire une fortune ? », Lance-t-elle, furibonde, tout en tournant le talon à Rosita.

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

Cette scène n’est ni surprenante ni étonnante, témoigne Séphonise Bien-Aimé, technicienne en agriculture ayant assisté malgré elle à l’échange entre ses congénères, visiblement de même catégorie sociale et évoluant dans la même région.

« Pas besoin d’être sociologue, ou psychosociologue, estime Séphonise, 32 ans et célibataire, pour comprendre que cette tension qui traverse les deux femmes est tout simplement le fruit de la situation économique précaire du pays ».

Et Rosita et son interlocutrice n’en seraient que des victimes qui ne font qu’exprimer sans le savoir, sans le vouloir peut-être, ce sentiment d’impuissance et de colère contenue qui affecte un très grand échantillon de femmes et d’hommes, notamment des  pères et mères de famille soucieux de l’avenir de leurs enfants et du pays en général. Un contexte qui tend à empirer à l'approche de la réouverture des classes.

« On ne peut plus se payer un régime de bananes, une marmite d’haricots, des fruits, des légumes, des vivres, voir une aune de tissus ! Les prix des produits ont doublé, voire triplé »,  remarque-t-elle avec désespoir. Pourtant,  concède-t-elle « c’est légitime car, sauf nos poulets et les rares denrées agricoles, tout se vend en dollars ».

 

En effet, compte tenu de la dévaluation de la gourde par rapport au dollar américain, de nombreuses familles éprouvent d’énormes difficultés à répondre même aux besoins primaires de leurs enfants. La réouverture des classes est une parmi d’autres obligations fondamentales qui stressent la population active, dont les chefs de familles.  

C’est le sort de Jocelyne Jean,  mère célibataire, veuve depuis 6 ans vendant des habits usagers  pour entretenir ses trois enfants.  

 

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

À l’instar des petits commerçants de la place, nombreux sont les secteurs d’activités dont la coupe et la couture qui sont touchés par la cherté de la vie, conséquence de l’érosion monétaire.  « Il y a longtemps que cette profession ne permet plus à ses praticiens de vivre décemment » affirme Glosy Singer, quinquagénaire, élevant trois  enfants.

Originaire de Mirebalais, commune du Bas Plateau central, situé à 1 heure de Port au Prince, Boss Glosy, comme le surnomme ses clients, exerce le métier de couturier depuis son plus jeune-âge. Aujourd’hui, il est inquiet quant à son avenir dans cette profession. Il croit que le problème économique qui touche la masse populaire haïtienne a une histoire.

 

 

« Nous sommes le peuple le plus civilisé de la planète terre », estime Mères Pierre, un jeune économiste de profession. « Nous supportons le poids du chômage, l'insécurité, la faim, le rationnement du courant électrique. C’est à peine si l’on se plaint ou l’on bronche. Sans pour autant nous résigner, la plupart d’entre nous prions Dieu en attendant un lendemain meilleur » dit-il pour étayer sa thèse.

Des jours meilleurs donc où tous les enfants mangeront à leur faim, la femme et sa contribution dans la vie économique seront appréciées à leur juste valeur et où tout un chacun mènera une vie descente, d'après ce que souhaitent les Nations Unies qui ont adopté en septembre 2015 les Objectifs du Développement Durable, (ODD).

 

 

 

 

Rédaction: Marie Yolette B. Daniel