Haïti : les homosexuels face aux barrières culturelles, religieuses et légales !

14 déc 2016

Haïti : les homosexuels face aux barrières culturelles, religieuses et légales !

Photo : Dieu-Nalio CHERY / Anderson Estinphil après le déguisement pour le défilé de mode à l'évènement baptisé "Gay Beauty Contest

« 55 mille », le nombre d'hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes dans le pays, selon PSI-Haïti. Conclusion d’une enquête menée en 2015 sur la prévalence du VIH chez la communauté LGBTI. Face aux discriminations et attaques, une partie des Lesbiennes, Gays, Bisexuels,  Transgenres et les Intersexués se regroupent au sein d'une organisation dénommée « KOURAJ » (1). Cette association se lance depuis 5 ans dans une lutte sans relâche pour le respect de leurs droits. Une tâche ardue face aux barrières culturelles, religieuses et légales. « Haïti n’est pas encore prête à légaliser les pratiques homosexuelles », selon Ronald Larèche, président de l’Assemblée Nationale.

Fermathe, quartier de Kenscoff, à 1500 mètres d’altitude sur les hauteurs de Port-au-Prince. Le nouveau lieu de refuge d’Anderson Estinphil. Ce jeune garçon de 22 ans, étudiant en Biologie Médicale est gay. Il a quitté Nazon, son quartier, suite à de fortes menaces verbales. Un déménagement forcé après l'annonce en septembre 2016 du « festival des films et des arts LGBTI + Afro-Caribéens MassiMadi (2) Haïti ». Et depuis lors, Anderson, connu sous le nom de « Etera », vit ici, chez son ami, gay lui aussi. Efféminé depuis son enfance, « Etera » avoue n’être jamais attiré que par des hommes.

En 2010, il a tenté de se suicider à 2 reprises à cause des critiques acerbes contre les LGBTI. Selon lui, l'homosexualité n'est pas une maladie comme on veut le faire croire, c'est plutôt l'homophobie qui en est une. « Mon orientation sexuelle ne dérange en rien ma foi chrétienne, mais on a tendance à m’écarter de toutes les activités de l'Eglise ». 

 

Pour l'Eglise protestante, « l’homosexualité est un péché contre-nature... »

 « On ne naît pas Homo, on le devient. C'est un vice sexuel », tranche Lemète Zéphyr, responsable de la Commission Ethique de la Fédération Protestante d'Haïti, FPH. L’Evangéliste admet qu’ils sont libres de choisir leur orientation sexuelle, mais pas question de nous l'imposer comme morale sociale. Lemète Zéphyr croit que légaliser l’homosexualité en Haïti, serait ouvrir la voie au tourisme sexuel et à la corruption sociale. 

Cependant, Pasteur Zephyr se prononce contre toutes formes de violences contre les LGBTI, qui doivent jouir eux aussi de leurs droits. Selon le responsable de la FPH, les Homos peuvent changer. « Nous sommes prêts à les accueillir, les aider à changer leur mode de vie à travers la prière », déclare-t-il.

 

L’homosexualité, « une atteinte grave aux fondement éthiques et anthropologiques de la vie, de la famille et de l'éducation », note l'Eglise Catholique

L’annonce en Septembre 2016 du Festival Massi-Madi, a suscité moult réactions, et notamment des protestations. Des représentants de plusieurs secteurs ont levé la voix pour dire « NON » à ce festival. Le cas de l'Eglise Catholique, qui fixe sa position sur les pratiques homosexuelles en Haïti. Dans une note publiée quelques jours après, la Conférence Episcopale d'Haïti, regroupant Evêques et Archevêques, a insisté sur l'importance du mariage et de la famille dans la promotion des valeurs morales, humaines et spirituelles. 

« On reconnait la promotion de la structure naturelle de la famille - comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage. Et le mariage n'existe qu'entre deux personnes de sexe différent », lit-on dans cette note. 

Toutefois, la CEH rappelle que « selon I‘enseignement de l'Eglise, chaque personne, indépendamment de sa situation sexuelle doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec compassion et délicatesse, avec le soin d'éviter toute marque de discrimination injuste et particulièrement toute forme d'agression et de violence ». 

Photo : Dieu-Nalio CHERY / Le Cardinal haïtien Chibly Langlois, président de la Conférence des Evêques d'Haïti, fait son entrée au stade national Sylvio Cator, pour présider la clôture de l'année miséricorde.  

 

Le Vodou haïtien ouvre ses bras aux Homosexuels, mais...

 

« Ils ne sont pas nés ainsi. Ce sont des créatures de Dieu. On ne juge pas. On respecte leur droit », déclare Euvonie Georges Auguste, Grand Serviteur à la Confédération Nationale des Vodouisants Haïtiens. Pour le Vodou, c'est le bien-être de l'autre qui est important, pas son orientation sexuelle.

Mme Auguste admet que la société haïtienne n'est pas prête à accepter la légalisation de cette pratique. « En Haïti, il y a des valeurs morales à respecter. On a reçu une éducation chrétienne, qui engendre des interdits », souligne la vodouisante, évoquant néanmoins une hypocrisie dans la société haïtienne.

 

« Près de 20 cas d'agressions physiques contre des Homos enregistrés de Janvier à Octobre 2016 »

 

Dans ce débat houleux, un organisme donne l’autre son de cloche : lutter pour le respect des droits de la communauté LGBT en Haïti. Son nom : « KOURAJ ». Crée en 2011, un (1) an après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, cette organisation mène un véritable combat contre toutes formes de discriminations et préjugés à l’égard des LGBTI. 

« L'homosexualité est un péché, et alors... ! En quoi ça dérange ? », se questionne le Président de « KOURAJ ». Charlot Jeudy, 32 ans, jure au péril de sa vie, d'intensifier la bataille contre l'homophobie. Pour lui, la peur des pratiques homosexuelles, c'est un « faux problème ». « Mariage pour tous ! On n’en est pas encore là ! Mais aucun texte de loi ne condamne l'homosexualité en Haïti », a dit l'activiste. 

 

Ce festival n’a jamais vécu. Interdiction frappée du sceau du Parquet de Port-au-Prince. Charlot Jeudy estime que la décision du Commissaire du Gouvernement est une violation de la liberté individuelle, de la liberté d'association et d'expression. 

« Le développement durable d'Haïti doit passer par le respect des droits individuels », déclare le responsable de KOURAJ. De janvier à octobre 2016, son association a documenté près de 20 cas d'agression physique sur des Homosexuels.

 

La société haïtienne est-elle prête à tolérer l’homosexualité ? 

 

« Les Masisi (3) et les Madivin (4) sont partout. Ils sont présents dans toutes les sphères d'activités en Haïti », souligne dès le début, Ilionor Louis, docteur en Sociologie. Haïti est-elle prête à tolérer ou légaliser les pratiques homosexuelles? En tout cas le sociologue haïtien estime que ce point de vue est un jugement de valeur. Il mène actuellement une étude sur la violence contre les minorités sexuelles en Haïti.

« La réticence des haïtiens par rapport à l'homosexualité est presque normale.  Mais il ne faut pas oublier qu’hier n'est pas aujourd'hui, aujourd'hui n'est pas hier, et demain ne sera pas aujourd'hui », souligne M. Louis. Pour lui, la société haïtienne, contrairement à ce que l'on pense, est en train de se préparer à accepter les différences sexuelles.

 

De son coté, Antoine Hubert Louis, lui aussi sociologue haïtien, animateur social et journaliste culturel, nuance et répond autrement. D'abord, M. Louis rappelle que la sexualité est une construction sociale. « Ceux qui sont hostiles à cette pratique, ont une perception sociale vis-à-vis de la communauté LGBT. Et la morale chrétienne y est pour beaucoup. », souligne-t-il

Hubert rappelle qu'en Haïti, les pratiques homosexuelles ne datent pas d'hier. En ce sens, le sociologue affirme que la question n’est pas de savoir si la société, mais le volet principal, c'est l'aspect juridico-légal. « La législation haïtienne n'autorise pas le mariage pour tous. A ce stade, des débats profonds doivent être initiés sur ce phénomène social, et l'Etat jouera un rôle important dans cette démarche. »

 

« De sérieuses réflexions doivent être engagées autour de ce phénomène... »

 

Les organisations de défense des droits humains en Haïti sont convaincues que les homosexuels sont libres de faire leur choix. « Mais ces droits ne sont pas neutres. Ils évoluent dans des cadres sociaux culturels donnés », souligne la Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains, (POHDH). 

Le Coordonnateur Général de la (POHDH) condamne toutes formes de violences contre les LGBTI. Maxime estime neanmoins que "l'homosexualité ne peut pas être imposée sous l'estampille droits humains".

 « Y a danger ! », estime ces organisations, qui croient qu'il est grand temps de faire des réflexions sur la communauté LGBTI. Pour éviter un éclatement social, le défenseur des droits humains estime que le problème devrait être posé dans la société, dans le but de comprendre la réalité. « Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l'université, l'Eglise...  Ils doivent apporter leur contribution, en vue de se mettre d'accord sur ce qu'on peut accepter ou pas dans la société », a renchéri Rony Maxime. 

 

Une proposition de loi sanctionnant les activités des homosexuels en milieux publics, déposée au parlement...

 

Les LGBTI dans l’œil du cyclone… La question de l'homosexualité suscite des polémiques au parlement haïtien. Suite à des échanges sur l'interdiction du Festival Massi-Madi Haïti, une bagarre a éclaté entre des parlementaires pour ou contre le respect des droits de la communauté LGBT.

Au-delà des critiques proférées au travers des médias, des parlementaires anti-LGBTI passent à l'offensive. Début novembre 2016, le sénateur de l'Artibonite Carl Murat Cantave, a déposé au Sénat de la république une proposition de loi sanctionnant les activités des homosexuels en milieux publics. « Il faut tout simplement éviter que cette communauté gagne du terrain. Il faut empêcher la dépravation de la jeunesse. On doit empêcher l'abomination en Haïti », avait fulminé le législateur, moins de 3 semaines avant le dépôt de sa proposition.

Le Président de l'Assemblée Nationale ne transige pas, il touche la plaie du doigt. « Haïti n'est pas prête et ne sera jamais prête à légaliser les pratiques homosexuelles. Et aucune loi haïtienne n'autorise l'homosexualité », a lancé le Sénateur Ronald Larèche.

En octobre 2016, l’Office de la Protection du Citoyen et de la Citoyenne, une structure étatique avait rappelé que les LGBTI ont les mêmes droits que tout le monde. « On ne peut utiliser aucune forme de préjugés se basant sur la tradition, la croyance culturelle, la religion et la morale pour justifier la violence exercée sur cette catégorie de personnes », a écrit l’OPC dans une note.

En Haïti, l'intolérance grimpe vis-à-vis des homosexuels. En Aout 2013, les fiançailles d'un couple Gay à Port-au-Prince, avaient été violemment perturbées par des riverains. Dans la capitale haïtienne, plusieurs mouvements de protestation initiés par des Chrétiens ont eu lieu durant ces 3 dernières années, pour dire « NON » à l'homosexualité. 

Photo : Dieu-Nalio CHERY / Des chrétiens manifestent dans les rues de Port-au-Prince, pour condamner les pratiques homosexuelles en Haïti.  

 

De plus en plus critiquée ou menacée, la communauté LGBT en Haïti ne cesse de bénéficier du support de plusieurs organisations ou institutions internationales. L'Expert Indépendant des Nations-Unies pour la situation des droits de l'homme en Haïti, Gustavo Gallon, lors de sa 6e mission dans le pays, a condamné les menaces que subit cette communauté durant l'année 2016.

L'Ambassadeur de l'Union Européenne en Haïti quant à lui, avait regretté que « les droits des femmes et les droits des minorités, particulièrement les droits des homosexuels demeurent encore tabous dans le pays. » Lors d'une cérémonie à Port-au-Prince, marquant le 68e anniversaire de la journée des droits de l'homme, Vincent Degert a déploré l'absence de débats argumentés autour de ces thématiques importantes pour l'épanouissement des droits de l'homme en Haïti.

En collaboration avec l'Ambassade américaine en Haïti, la section créole de « La Voix de l'Amérique » (VOA), avait annoncé en juillet 2015, la diffusion sur plusieurs médias partenaires de l’émission « Konprann mwen, renmen mwen » - (Comprenez-moi, aimez-moi). Un programme radiophonique pour montrer une perspective unique concernant la société haïtienne sur les homosexuels, les lesbiennes, les bisexuels, les transgenres et les intersexués haïtiens. Ce projet annoncé sur la page Facebook de l'Ambassade des Etats-Unis n'a pas fait long feu, en raison de nombreuses critiques venant de plusieurs secteurs de la vie nationale.

Sous couvert ou de façon ouverte, des milliers d'haïtiens vivent difficilement leur homosexualité. Charlot Jeudy, leader de l'organisation « KOURAJ » n'entend pas lâcher prise et rêve de vivre dans une société diversifiée, où tous les citoyens peuvent jouir pleinement de leur droit. 

 

Texte : Luckson SAINT-VIL 
Vidéo : Oldy Joel AUGUSTE
Photo : Dieu-Nalio CHERY

NOTES

1. KOURAJ : Le nom de l'organisation de défense des droits de la communauté LGBTI en Haïti, qui veut dire ''courage'' en français

2. Massi-Madi : Liaison entre deux mots qui désignent les Homos et les Lesbiennes

3. Masisi : Mot utilisé dans la langue créole haïtien pour désigner les Homosexuels  

4. Madivin : Mot utilisé dans la langue créole haïtien pour désigner les Lesbiennes