Les Dossiers du mois n°7 - Phénomène de lynchages : Une « justice populaire » qui mine la société haïtienne

22 fév 2013

Les Dossiers du mois n°7 - Phénomène de lynchages : Une « justice populaire » qui mine la société haïtienne

Pratiqué comme une forme légitime de justice rétributive, le phénomène de lynchages est devenu récurrent en Haïti. Quelles sont ses causes et les solutions envisagées ? Décryptage.

Pratiqué comme une forme légitime de justice rétributive, le phénomène de lynchages est devenu récurrent en Haïti. Quelles sont ses causes et les solutions envisagées ? Décryptage.

Pèsonn pa dwe bay tèt yo jistis yo menm

Le 24 janvier dernier, un homme a été attaqué, battu et lapidé à Trianon, commune de Mirebalais, au Nord-Est de Port–au-Prince, la capitale haïtienne. Selon les informations préliminaires reçues par la Section des droits de l’homme (SDH) de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti, la victime avait été prise en flagrant délit de vol d’une chèvre et d’un poulet.

A Limbé également, une commune située à quelques kilomètres du Cap Haïtien, dans le département du Nord,  les membres de la communauté locale ont, le 7 janvier dernier, lynché un meurtrier présumé. Selon le juge de paix de cette localité et le service départemental de la police, la victime était suspectée dans une affaire d’assassinat qui s’est produite le 24 décembre 2012, dans cette commune.

En Haïti, malgré les dispositions du code pénal en ses articles 240, 241 et suivants traitant des « meurtres et autres crimes capitaux et menaces d’attentats contre les personnes », ces actes subis par des personnes accusées sans jugement régulier viennent allonger la liste des nombreuses victimes de meurtre dans le pays.  Perpétrés par la foule, ces lynchages consistent souvent à lier les mains de la victime dans le dos, à l’exécuter à coups de pierre, de bâtons ou de machette et parfois à la brûler vive.

Selon les statistiques de la police des Nations Unies en Haïti (UNPOL), le phénomène du lynchage est généralisé sur l’ensemble du territoire haïtien et le nombre de cas connus est passé de 90 en 2009 à 121 en 2012.

Pourtant, comme le rappelle le Secrétaire général du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), Renan Hédouville, c’est un acte qui est considéré comme une violation des droits de l’homme et de la présomption d’innocence, ainsi qu’une violation du droit à un procès équitable, juste et impartial. « Le lynchage va à l’encontre des droits de l’homme, particulièrement du droit à la vie garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme en son article 3 », explique le juriste. Pour lui, ce phénomène contribue à l’augmentation de la violence en Haïti et crée une psychose et un climat de peur dans la société.

 

Le lynchage en Haïti : un phénomène à causes multiples

Posés sous forme de justice expéditive ou populaire, les actes de lynchage ont plusieurs origines en Haïti. Perpétrés par des citoyens ordinaires qui sont rarement interpellés par la police ou la justice, ces lynchages font la plupart du temps suite à des accusations diverses telles que le meurtre, la sorcellerie, le vol,  mais aussi le kidnapping ou d’autres actes de banditisme. Dans de nombreux cas, les victimes sont tuées pour avoir été surprises en train de commettre de petits larcins, vols de nourriture ou de bétails, ou parfois simplement parce qu’inconnues dans la région, elles sont prises pour des personnes mal intentionnées.

Pour la plupart des organisations de défense des droits de l’homme du pays, ce phénomène est dû à l’inaccessibilité à la justice et à la défiance de la population envers l’appareil judiciaire, qui favorisent l’impunité. Pour le secrétaire exécutif de la Plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (POHDH), Antonal Mortimé, c’est une « pratique de vengeance populaire » qui fait suite au manque de confiance de la population vis-à-vis des autorités policières et judiciaires.  « Si quelqu’un est pris en flagrant délit de vol ou de meurtre et remis aux autorités, il a toutes les chances d’être relaxé s’il jouit d’une bonne assise économique ou politique », déplore  Jocelyne Colas, directrice de la Commission nationale justice et paix (JILAP). Dans ces cas, souligne-t-elle, le plaignant ou la victime peut se sentir frustré et, ainsi, tenter de se faire justice.

Pour l’anthropo-criminologue, Osner H. Fevry, le lynchage est un phénomène ancré dans les pratiques et les mœurs des Haïtiens. « C’est surtout parce que dans notre histoire, nous avons souvent eu à nous révolter face à des actes qui blessent notre humeur, notre personnalité et même la conscience collective », estime-t-il, faisant allusion notamment aux périodes dites de « déchoukage » ou purges populaires à chaque transition politique. Quant à la directrice de l’Office de la protection du citoyen (OPC), Florence Elie, elle attribue la récurrence du phénomène du lynchage à une interprétation religieuse de l’apparition du choléra en 2010. En effet, au plus fort de l’épidémie, plusieurs prêtres vaudous ont été lynchés à travers le pays, suspectés de produire une poudre transmettant la maladie. « Bien qu’étant un phénomène sociétal très ancré dans le mécanisme de défense de la société, le lynchage fait suite à des circonstances et des besoins », explique Florence Elie.

 

Les défis

Considéré comme un crime résultant notamment du dysfonctionnement de la justice et de la police et puni par la loi haïtienne, le phénomène du lynchage fait l’objet d’une attention particulière de la part des autorités haïtiennes et de la MINUSTAH et de ses partenaires.

En effet, selon les explications du commissaire du gouvernement du parquet de Port-au-Prince, Lucmanne Delile, toute personne reconnue coupable de lynchage sera punie d’une peine de travaux forcés ou à perpétuité, conformément à la loi en vigueur. C’est pourquoi, en cas de lynchage, le parquet doit met l’action publique en marche en menant un avis de recherche et en décernant un mandat à l’auteur.

Cependant, sur la base de ses observations sur le terrain, la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti estime que « la prévention et la répression des cas de lynchages par les autorités haïtiennes semblent insuffisantes », explique Jérôme Hieber, officier au sein de cette section

Le substitut du commissaire du gouvernement du parquet de Port-au-Prince, Joseph Elysée Jean-Louis, estime que pour prévenir les actes de lynchage, il faudrait un effectif raisonnable de policiers déployés dans les sections communales et des juges itinérants pour recueillir les doléances des populations en vue de les mettre en confiance et de les rapprocher de la justice.

Des efforts sont en cours (voir encadrés) pour améliorer l’accès à la justice de proximité et son fonctionnement et renforcer la formation et le nombre des policiers en exercice.

Conscient des défis que représente ce phénomène pour le corps policier, le porte-parole de la Police nationale d’Haïti (PNH), le commissaire Frantz Lerebours, plaide pour la sensibilisation des populations à recourir en toutes circonstances à la police. Le lynchage est un crime qui ne peut rester impuni dans un Etat de droit « étant entendu que mêmes les criminels ont des droits », dit-il. Et le code d’instruction civile en Haïti traite justement, en ses articles  20 et 88, de l’obligation de toute personne qui aura été témoin d’un attentat contre la vie ou la propriété d’un individu, d’en donner avis au commissaire du gouvernement. Plus loin, il est prévu que « tout dépositaire de la force publique, et même toute personne, [doit] saisir le prévenu surpris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique et le conduire devant les tribunaux ».

Certes, beaucoup de chemin reste à parcourir pour en finir avec la pratique du lynchage.  Afin de sensibiliser les populations dans les zones les plus reculées sur ses maux, une série d’activités est en cours à travers le pays à l’initiative de la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti. (voir encadrés). « Les autorités locales participent activement à nos activités de sensibilisation et nous espérons que cela se traduira par une amélioration de leur réponse au phénomène », indique M. Hieber.

Par Tahirou Gouro Soumana et Richard Pierre Jérome

 

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Pèsonn pa dwe bay tèt yo jistis yo menm

Le 24 janvier dernier, un homme a été attaqué, battu et lapidé à Trianon, commune de Mirebalais, au Nord-Est de Port–au-Prince, la capitale haïtienne. Selon les informations préliminaires reçues par la Section des droits de l’homme (SDH) de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti, la victime avait été prise en flagrant délit de vol d’une chèvre et d’un poulet.

A Limbé également, une commune située à quelques kilomètres du Cap Haïtien, dans le département du Nord,  les membres de la communauté locale ont, le 7 janvier dernier, lynché un meurtrier présumé. Selon le juge de paix de cette localité et le service départemental de la police, la victime était suspectée dans une affaire d’assassinat qui s’est produite le 24 décembre 2012, dans cette commune.

En Haïti, malgré les dispositions du code pénal en ses articles 240, 241 et suivants traitant des « meurtres et autres crimes capitaux et menaces d’attentats contre les personnes », ces actes subis par des personnes accusées sans jugement régulier viennent allonger la liste des nombreuses victimes de meurtre dans le pays.  Perpétrés par la foule, ces lynchages consistent souvent à lier les mains de la victime dans le dos, à l’exécuter à coups de pierre, de bâtons ou de machette et parfois à la brûler vive.

Selon les statistiques de la police des Nations Unies en Haïti (UNPOL), le phénomène du lynchage est généralisé sur l’ensemble du territoire haïtien et le nombre de cas connus est passé de 90 en 2009 à 121 en 2012.

Pourtant, comme le rappelle le Secrétaire général du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), Renan Hédouville, c’est un acte qui est considéré comme une violation des droits de l’homme et de la présomption d’innocence, ainsi qu’une violation du droit à un procès équitable, juste et impartial. « Le lynchage va à l’encontre des droits de l’homme, particulièrement du droit à la vie garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme en son article 3 », explique le juriste. Pour lui, ce phénomène contribue à l’augmentation de la violence en Haïti et crée une psychose et un climat de peur dans la société.

Le lynchage en Haïti : un phénomène à causes multiples

Posés sous forme de justice expéditive ou populaire, les actes de lynchage ont plusieurs origines en Haïti. Perpétrés par des citoyens ordinaires qui sont rarement interpellés par la police ou la justice, ces lynchages font la plupart du temps suite à des accusations diverses telles que le meurtre, la sorcellerie, le vol,  mais aussi le kidnapping ou d’autres actes de banditisme. Dans de nombreux cas, les victimes sont tuées pour avoir été surprises en train de commettre de petits larcins, vols de nourriture ou de bétails, ou parfois simplement parce qu’inconnues dans la région, elles sont prises pour des personnes mal intentionnées.

Pour la plupart des organisations de défense des droits de l’homme du pays, ce phénomène est dû à l’inaccessibilité à la justice et à la défiance de la population envers l’appareil judiciaire, qui favorisent l’impunité. Pour le secrétaire exécutif de la Plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (POHDH), Antonal Mortimé, c’est une « pratique de vengeance populaire » qui fait suite au manque de confiance de la population vis-à-vis des autorités policières et judiciaires.  « Si quelqu’un est pris en flagrant délit de vol ou de meurtre et remis aux autorités, il a toutes les chances d’être relaxé s’il jouit d’une bonne assise économique ou politique », déplore  Jocelyne Colas, directrice de la Commission nationale justice et paix (JILAP). Dans ces cas, souligne-t-elle, le plaignant ou la victime peut se sentir frustré et, ainsi, tenter de se faire justice.

Pour l’anthropo-criminologue, Osner H. Fevry, le lynchage est un phénomène ancré dans les pratiques et les mœurs des Haïtiens. « C’est surtout parce que dans notre histoire, nous avons souvent eu à nous révolter face à des actes qui blessent notre humeur, notre personnalité et même la conscience collective », estime-t-il, faisant allusion notamment aux périodes dites de « déchoukage » ou purges populaires à chaque transition politique. Quant à la directrice de l’Office de la protection du citoyen (OPC), Florence Elie, elle attribue la récurrence du phénomène du lynchage à une interprétation religieuse de l’apparition du choléra en 2010. En effet, au plus fort de l’épidémie, plusieurs prêtres vaudous ont été lynchés à travers le pays, suspectés de produire une poudre transmettant la maladie. « Bien qu’étant un phénomène sociétal très ancré dans le mécanisme de défense de la société, le lynchage fait suite à des circonstances et des besoins », explique Florence Elie.

Les défis

Considéré comme un crime résultant notamment du dysfonctionnement de la justice et de la police et puni par la loi haïtienne, le phénomène du lynchage fait l’objet d’une attention particulière de la part des autorités haïtiennes et de la MINUSTAH et de ses partenaires.

En effet, selon les explications du commissaire du gouvernement du parquet de Port-au-Prince, Lucmanne Delile, toute personne reconnue coupable de lynchage sera punie d’une peine de travaux forcés ou à perpétuité, conformément à la loi en vigueur. C’est pourquoi, en cas de lynchage, le parquet doit met l’action publique en marche en menant un avis de recherche et en décernant un mandat à l’auteur.

Cependant, sur la base de ses observations sur le terrain, la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti estime que « la prévention et la répression des cas de lynchages par les autorités haïtiennes semblent insuffisantes », explique Jérôme Hieber, officier au sein de cette section

Le substitut du commissaire du gouvernement du parquet de Port-au-Prince, Joseph Elysée Jean-Louis, estime que pour prévenir les actes de lynchage, il faudrait un effectif raisonnable de policiers déployés dans les sections communales et des juges itinérants pour recueillir les doléances des populations en vue de les mettre en confiance et de les rapprocher de la justice.

Des efforts sont en cours (voir encadrés) pour améliorer l’accès à la justice de proximité et son fonctionnement et renforcer la formation et le nombre des policiers en exercice.

Conscient des défis que représente ce phénomène pour le corps policier, le porte-parole de la Police nationale d’Haïti (PNH), le commissaire Frantz Lerebours, plaide pour la sensibilisation des populations à recourir en toutes circonstances à la police. Le lynchage est un crime qui ne peut rester impuni dans un Etat de droit « étant entendu que mêmes les criminels ont des droits », dit-il. Et le code d’instruction civile en Haïti traite justement, en ses articles  20 et 88, de l’obligation de toute personne qui aura été témoin d’un attentat contre la vie ou la propriété d’un individu, d’en donner avis au commissaire du gouvernement. Plus loin, il est prévu que « tout dépositaire de la force publique, et même toute personne, [doit] saisir le prévenu surpris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique et le conduire devant les tribunaux ».

Certes, beaucoup de chemin reste à parcourir pour en finir avec la pratique du lynchage.  Afin de sensibiliser les populations dans les zones les plus reculées sur ses maux, une série d’activités est en cours à travers le pays à l’initiative de la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH/Haut-Commissariat aux droits de l’homme-Haïti. (voir encadrés). « Les autorités locales participent activement à nos activités de sensibilisation et nous espérons que cela se traduira par une amélioration de leur réponse au phénomène », indique M. Hieber.

Par Tahirou Gouro Soumana et Richard Pierre Jérome

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