L’Argile, une manne pour les habitants de Sapatère

24 mai 2016

L’Argile, une manne pour les habitants de Sapatère

Pierre Jérôme Richard  - UN/MINUSTAH

 

Pour réaliser ses œuvres d’art telles les pots à fleurs, Yvenel Jeunesse, achète à  1000 gourdes le sac d’argile de 100 livres, au marché de la Croix des Bossales, à Port-au-Prince.  Pour le faire parvenir à son domicile, qui lui sert aussi d’atelier, dans le quartier de Bourdon, surplombant le centre-ville, il peut dépenser entre 750 et 1000 gourdes. « L’argile étant pesante, une seule personne ne peut faire sortir un sac du dépôt où elle est entreposée. Ensuite, il faut au moins deux hommes pour le charger sur une brouette, pas les petites brouettes en fer, mais les brouettes artisanales localement construites, avant de le mettre dans un tap-tap », précise cet homme qui dit avoir commencé à manier professionnellement l’argile après le séisme du 12 janvier 2010.

 

Pierre Jérôme Richard  - UN/MINUSTAH

 

Si dans les Nippes, à environ deux heures de la Capitale vers le Sud, le département d’origine du potier, l’argile est aussi exploitée, la ressource dont il se sert provient habituellement du Plateau central, notamment de Hinche, (deux heures de voiture au nord-est de Port-au-Prince), première source de ce matériau.

En effet, selon une étude intitulée : Inventaire des ressources minières de la République d’Haïti, du Bureau des Mines et de l’Energie (BME) datant de 1992, le Plateau Central est le département le plus riche en argile. Un matériau qui permet de fabriquer un nombre inimaginable d’œuvres d’art et d’articles utilitaires, en témoigne le premier texte publié sur le sujet. http://www.minustah.org/

Avec un sac de 100 livres de cette ‘’terre’’ comme certains usagers haïtiens appellent  l’argile, Yvenel parvient à fabriquer par exemple une quinzaine de pots à fleurs, dont la valeur marchande de chacun est en moyenne de 1000 gourdes.

Et, c’est grâce à ce qu’il gagne de la vente de ses œuvres qu’il prend soins de sa femme, sa fille de six ans, et de lui-même, même si la vente reste souvent à désirer.

 

Un travail à la chaine

 

Pierre Jérôme Richard  - UN/MINUSTAH

 

La découverte de l’argile en Haïti ne remonte certes pas aux 20 dernières années. Cependant, son exploitation relève encore de l’artisanat, donc se fait encore manuellement avec des outils tout à fait rudimentaires. Pourtant, dans l’étude citée plus haut, le BME est convaincu que « la mise en valeur du potentiel minier du pays constitue une voie à explorer dans la recherche de solutions efficaces au redressement de l’économie nationale ». Une économie des plus faibles de la planète  qui doit aujourd’hui faire face à une « inflation accélérée » atteignant jusqu’à 12 % à la fin du mois de Novembre 2015

Une situation qui aurait pour causes principales, selon les autorités haïtiennes, la sècheresse qui a occasionné la perte de plus de 60% des récoltes, et la dépréciation de la gourde par rapport au dollar américain.

D’après  la Banque de la République d’Haïti, BRH, «  l’inflation annuelle devrait se chiffrer à 14,1 % en avril 2016 », dans ce pays qui, souligne la Banque mondiale, reste le plus pauvre du continent américain et l’un des plus déshérités du monde (avec un PNB par habitant de 846 dollars en 2014), et qui souffre de carences importantes dans les services essentiels. 

 

 

Pierre Jérôme Richard  - UN/MINUSTAH

 

Trouver l’argile, en certains endroits, demande de creuser jusqu’à une profondeur de 25 pieds. La ressource une fois en vue et accessible, l’exploitant devra abandonner le sens vertical du trou pour progresser dans le sens horizontal, ou dans le sens de la largeur. En ce sens, il peut même marcher plusieurs mètres, parfois une dizaine ou même des centaines de mètres sous la terre à la recherche de la denrée.

« A ce niveau, je perds tout contact avec l’extérieur. Si quelqu’un m’appelle, il me sera très difficile d’entendre », raconte Paul. Il souligne qu’à force de creuser «on peut avoir  l’impression d’avoir une maison sous la terre ».

L’argile, planche de salut

L’exploitant n’est pas forcément le propriétaire du terrain. Ce dernier, suivant le tarif fixé par les habitants de la zone, reçoit ordinairement 10 gourdes par charge de terre, (équivalente de 8 récipients d’environ 15 livres d’argile), qu’il  sortira  de la fosse.

Faire sortir l’agile des profondeurs de la terre, soulignons-le, n’est pas le travail d’un seul homme. Il faut toute une chaine. Généralement, l’exploitant embauche à son compte un ou des manutentionnaires pour tirer du sous-sol les récipients une fois remplis d’argile. Ces derniers pourraient par exemple recevoir 250 gourdes pour 50 charges ou même 100 charges de terre.  Des charges qui seront ensuite transportées à dos d’âne vers son premier lieu de stockage. Et, des fois, les ânes sont loués et les personnes pour les guider sont aussi rémunérées.

 

Pierre Jérôme Richard  - UN/MINUSTAH

 

Arrivée au site de stockage, il est nécessaire de rendre la terre plus fine. Pour cela, il convient d’avoir quelqu’un pour la battre, avant de la mettre en sacs.

Les sacs une fois bien remplis attendent les acheteurs qui les  transporteront soit vers un atelier soit vers un marché où d’autres acheteurs à l’instar d’Yvenel viendront en faire l’acquisition.

Quel que soit sa destination finale, il faudra un camion pour en assurer le transport.   Pour un sac de 100 livres par exemple, le cout d’embarquement et de débarquement oscille entre 40 et 50 gourdes. Des exploits qu’un seul homme ne peut réaliser. Il en faut au moins deux pour soulever ou débarquer un sac de cette ressource qui, pour eux, représente une vraie manne. 

 

Pour ces habitants de Sapatère, (localité située à 10 minutes de la ville de Hinche), l’espoir d’une alternative à l’argile est très maigre. « Il n’y a même pas la perspective de création d’emplois même temporaire », fait savoir Inelet Joseph, père de cinq enfants qui, comme les autres habitants, pratiquent l’agriculture.

Une agriculture qui au cours de ces trois dernières années a été affectée par de nombreux phénomènes causés non seulement par le dérèglement climatique, mais aussi par certaines maladies épidémiologiques. 

Attention danger!

Cependant, l’accès à cette manne n’est pas sans risques. Si par exemple en fouillant, le laboureur entend un morceau de terre tombée sans son intervention, il doit se débrouiller pour sortir en toute hâte, dans le cas contraire, il risque de se faire enterrer vivant et, « même à l’aide d’un tracteur, on ne pourra pas récupérer sa dépouille », commente M. joseph , évoquant un risque certain d’éboulement ou d’affaissements pouvant causer blessures, chutes ou au pire cas, la mort.  De même qu’on peut en fouillant être envahi par les eaux souterraines.

« Quand quelqu’un fouille la terre, c’est seulement à son retour à la maison, qu’on sait qu’il est en vie, sinon il peut être considéré comme mort », soutient Etienne Daniel, père de famille s’adonnant lui aussi à la recherche et vente d’argile.

 

A entendre ces usagers, les risques ne concernent pas simplement l’exploitation du sous-sol, certains risques existent aussi pour des non avisés qui après cette phase pourraient fréquenter la zone. « Si on court après quelqu’un ayant commis un acte délictueux par exemple,  et qu’il prend la direction d’un site à peine exploitée, on n’a pas besoin de le poursuivre ; il n’ira pas loin », a blagué l’un d’entre eux. « Il a deux chances, ou bien il meurt sur le champ en tombant dans un trou qui l’entrainera vers les profondeurs, ou bien s’il en sort, il en sortira avec de gros dommages », avertit cet homme.

Cependant, malgré les séquelles laissées par la quête d’argile, le sol peut encore redonner vie. Car « II n’y a aucun problème à recommencer l’agri-exploitation », sourit Joseph Inelet, accompagné de 5 autres ‘’exploitants’’ plutôt jeunes, debout à proximité d’un jardin de pois Congo, cultivé pas trop longtemps après y avoir extrait une quantité certaine de leur manne.

 

 

Rédaction: Pierre Jérôme Richard