L’exploitation du bois en Haïti: un sujet à méditer

24 aoû 2016

L’exploitation du bois en Haïti: un sujet à méditer

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

Aux Gonaïves, une rue entière, la rue « cité résidentiel « est dédiée à l’exposition de meubles en bois. Salle à manger, chiffonnier, placards, lits en bois massif, mobiliers de bureau etc. Fabriqués manuellement à l’aide d’outils conventionnels, on peut parer sa maison, orner son bureau sans chercher plus loin. Mais à quel Prix…

« Pour fabriquer ces meubles, nous ne disposons que d’outils rudimentaires artisanaux (scie, rabot à main, grattoir).  De plus, nous n’utilisons que du bois local comme principale matière première. Ce qui nous rend la tâche plus difficile encore », confie Emmanuel Arisma, l’un des ébénistes - exposants de cette artère, d’ailleurs très fréquentée. Il entend par-là, le coût élevé lié à la rareté du matériau, bois brut utilisé pour fabriquer les pièces.

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

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Philippe Gesnet, un pratiquant qui exerce le métier d’ébénisterie depuis 16 ans est conscient du problème. Tandis que les rares arbres encore existants sur le territoire sont abattus sans aucun contrôle, M. Gesnet rappelle qu’il faut au moins une quinzaine d’années à un arbre pour atteindre sa maturité.

Ce qui justifie la pénurie de bois, sans lequel l’industrie de fabrication de meubles ne peut fonctionner, soutient Gesnet.  « Je crains qu’il arrivera un jour où nous ne trouverons plus de bois pour continuer à produire, d’autant plus que nous ne sommes pas les seuls à exploiter cette ressource », fait remarquer cet homme qui s’interroge quant à l’existence d’ « un plan de reboisement ou encore d’une politique de contrôle de la couverture végétale du pays ».

 

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

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En effet, la déforestation progressive et aujourd’hui systématique de la République d’Haïti est la résultante d’actions inconscientes de plusieurs générations ayant vécu sur cette terre. « Le bois et sa dérivée -le charbon- sont les seules combustibles accessibles à la majorité des ménages pour leurs besoins multiples  notamment, la cuisson et le repassage des linges », admet  Fourna Valmir, propriétaire de « Par La Foi  dry cleaning», une petite entreprise familiale de nettoyage à sec d’habits, dont la source principale d’énergie est le bois. (http://minustah.unmissions.org/charcoal-trail-centrecentre-sur-la-route-du-charbon).

Mme Valmir reconnait que son entreprise à l’instar de centaines d’autres contribue à la déforestation du pays. Par ailleurs, elle avoue  son impuissance face au problème car « on ne dispose pas d’énergie alternative pour les besoins domestiques y compris pour faire fonctionner certaines catégories de petites entreprises familiales » dont la sienne. Elle  souligne par contre, le caractère urgent de la situation.  Selon elle, « Il y a lieu de se pencher de plus près sur ces  inquiétudes soulevées par divers secteurs de la population ». 

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

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« Mais qui doit mener ses réflexions. Qui va y répondre. Comment adresser le problème autrement, car il a été à mainte reprises  déjà abordé par plus d’un. Et à quel niveau doit-il être posé? », se demande Emanuel Michel, un capois de 39 an, marchand de bois et père de famille.  Ce dernier tombe des nus quant aux réponses à ses propres questions.

Outre les ménages, les sculpteurs, les charpentiers et les ébénistes, le bois est en effet, utilisé comme combustibles dans la transformation de divers produits agricole comme la canne à sucre (production d’alcool notamment le clairin haïtien, (boisson fort), du ra padou fait à base de sirop de canne), dans la boulangerie, les briques.

 

L’histoire y est pour quelque chose et nous sommes tous concernés

 « On y trouve également l’empreinte d’aléas politiques liés aux différentes catastrophes socioéconomiques qu’a connues le pays des siècles durant », estime l’agronome Moloche Durosier, ancien cadre à la direction départementale du ministère de l’environnement au Plateau Central. Il en a aussi accusé le ministère de l’environnement qui n’a pas été à même de bien jouer son rôle dans ce domaine, le désengagement et la faiblesse de l’état comme principaux facteurs responsables de l’état déplorable de l’environnement. 

Aujourd’hui, Haïti ne compte, selon lui, qu’1,4% de couverture végétale. Malgré tout, environ 46,000 m3 de bois sont coupés chaque année pour les besoins multiples en chauffage, indique-t-il avec tristesse. De plus, l’abattage des arbres se fait de manière anarchique et irresponsable, non seulement en amont mais aussi en aval des sources, des rivières. Et, souvent sans même tenir compte des zones à risque d’éboulement et de glissement de terrain etc. 

« Ni les arbres fruitiers ni les arbres géants à l’instar du Mapou auxquels certaines personnes donnent une connotation mystique, ne sont pas épargnés », dit-il d’un air impuissant. Et cela a commencé depuis l’époque coloniale où Haïti a été contraint de vendre des tonnes de bois pour payer la dette de son indépendance, pourtant acquise au prix d’énormes sacrifices, rappelle-t-il.

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

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Les conséquences de nos agissements inconscients sont catastrophiques. Actuellement, le pays éprouve des difficultés énormes surtout quand il s’agit de faire face aux désastres naturelles telles que les inondations, éboulements et glissements de terrain mortels, reconnait Ananie Jean Jacques, une sexagénaire, technicienne agricole, résidente de la ville des Cayes, dans le sud du pays. 

S’interrogeant sur la volonté des haïtiens, en tant qu’acteur principal, à remédier à cette situation, elle déplore le tarissement systématique de certaines sources, courants d’eau et rivières. Ajoutez à ce tableau la transformation d’importantes superficies jadis marécageuses en de grands et dangereux terrains parcourus de larges crevasses dues à la sècheresse, qui seraient fatales à toute personne non avertie qui s’y aventurerait.

Elle a d’autre part déploré la migration des espèces d’oiseaux d’Haïti, conséquence, selon elle du déséquilibre de l’écosystème. « Je n’ai pas l’impression que 20% des haïtiens soit conscient de ce qui nous arrive ni de ce qui nous attend si on ne change pas de comportement »,  constate-t-elle. Pourtant, la diminution du rendement agricole dû à la dégradation des sols et la sècheresse  sont des signaux d’alarmes qui devaient nous porter  à la réflexion et à l’action », présume-t-elle.

 

Des mesures de redressements s’imposent.

Les problèmes environnementaux d’Haïti ne sont pas les seuls  à susciter de grandes réflexions. La déforestation et la désertification causées par les activités humaines posent des défis majeurs au développement durable. Chaque année, 13 millions d’hectares de forêts sont perdus tandis que la dégradation continuelle des zones arides a conduit à la désertification de 3,6 milliards d’hectares et ont des répercussions négatives sur la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes qui luttent contre la pauvreté.

De ce fait, le 25 septembre 2015, lors d’un sommet au siège de l’ONU à New York, des pays ont eu la possibilité d’adopter un ensemble d’objectifs de développement durable visant à éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous. Le Programme a été adopté à l’unanimité par 193 chefs d’État ou de gouvernement. Il comporte  17 Objectifs de Développement Durable (ODD), lors des 15 prochaines années, couvrant les besoins des peuples à la fois dans les pays développés et dans les pays en développement tels qu’Haïti.

 

Lire aussi : Le caractère inclusif du Programme de développement durable est un impératif éthique, selon l’ONU

 

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

En dépit du tableau sombre présenté  par les statistiques eu égard à la situation environnementale d’Haïti, l’Agronome Durosier est confiant que tout n’est pas irréversiblement perdu. Entre autres actions pour y remédier, il propose des alternatives qui impliqueraient l’intervention du gouvernement dans le cadre de la réalisation de l’ODD# 15, l’éducation environnementale et la pleine implication du secteur éducatif, de la société civile en particulier, des enfants, des jeunes et des paysans.

 

 

« Il va sans dire qu’Haïti  a déjà réalisé de grands projets visant à améliorer les conditions environnementales inquiétantes », affirme Odinave Dominique, un étudiant finissant en Sciences de l’agronomie. À son avis, le plus important pour le pays, c’est de continuer à amplifier les actions déjà entreprises pour étendre l’effet multiplicateur sur l’environnement. En s’appuyant sur les initiatives qui ont déjà porté du fruit, ("Mare-à-Coiffe, mon paradis vert", "Renforcement des bonnes pratiques environnementales et agricoles en Haïti : L´ONU appelle à l´action") Il croit qu’« Haïti a plus que jamais besoin de ses partenaires externes ainsi que la poursuite de la coopération avec la communauté internationale pour avancer ».

 

Rédaction : Marie Yolette B. DANIEL