Cité Soleil: le “Restavek à la Maison”

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10 oct 2014

Cité Soleil: le “Restavek à la Maison”

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH Cliquer sur la photo pour lancer la galerie. (Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH.)

 

A Cité Soleil, le plus grand et dangereux bidonville d’Haïti, la violence domestique sur les enfants s’apparente au phénomène « Restavek ». Reportage.

Les pieds nus dans les eaux salles et tièdes qui stagnent devant la citerne, Daniel* 11 ans, vient remplir ses deux gallons. Mais l’eau du robinet du kiosque communautaire de Croix Bleue, quartier de Cité Soleil, vient soudainement de cesser de couler. Daniel attend encore un peu avant d’aller « chercher ailleurs ». Le précieux liquide peut rejaillir à n’importe quel moment. Il doit nécessairement trouver de l’eau. « J’en ai besoin pour faire la vaisselle » explique-t-il, l’air timide.

Il ne porte qu’un maillot délavé dépassant largement sa taille. On dirait une robe. Environ 11 heures du matin. La chaleur déjà insupportable du soleil reflète sur les marres d’eau puante des deux côtés de cette rue aux maisons, pour la plupart, délabrées.

L’adolescent au corps frêle devrait être à l’école. « Je ne me rappelle pas », déclare-t-il, après avoir fouillé inutilement quelques secondes dans sa mémoire pour faire remonter la dernière fois qu’il a été à l’école. Sa journée, il la passe en grande partie à accomplir des travaux domestiques.

Pourtant, Daniel habite depuis plus de quatre ans avec sa grande sœur, Nicole 28 ans, mère de quatre autres enfants. « Je n’ai même pas les frais d’inscription », affirme la jeune dame visiblement embarrassée, s’exprimant sur la non-scolarité du gamin. La réouverture des classes est effective depuis déjà deux semaines. « Mais je pense que Dieu va m’aider », conclut-elle, la main sous le menton.

 

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH Cliquer sur la photo pour lancer la galerie. (Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH.)

 

La violence sur ses enfants, une pratique quotidienne

Sur le bras droit de Daniel, une imposante cicatrice. « J’ai été battu par ma mère. Je faisais du désordre », reconnait Daniel, parcourant avec l’index de l’autre main le stigmate. Daniel est vu par sa mère comme un petit « délinquant » qu’il faut sévèrement punir pour le corriger. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été remis à sa sœur.

Markenson 12 ans, lui, voit à peine de son œil droit. Une balafre scinde en deux le visage du garçon. « J’ai reçu un coup d’assiette, alors que mon père et ma mère se battaient un matin » se rappelle Markenson, la voix à peine audible.

 

Une aggravation de la violence sur les enfants ?

« Un jour, une mère a fait bouillir de l’eau et plonger la main de son enfant dans le liquide en ébullition, en guise de punition, parce que le petit avait demandé à manger à la fille du voisin », témoigne Bonald, travailleur social, œuvrant dans une organisation non gouvernementale (ONG) dans ce vaste bidonville.

Bonald a vu le jour ici, dans la Cité. Depuis près de 10 ans, il y travaille. Selon lui, on observe une certaine aggravation de la violence sur les enfants de la part de leurs proches depuis le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti. « De nombreux mineurs devenus orphelins se retrouvent du jour au lendemain dans la rue. D’autres, chez un particulier ou un proche qui souvent vit déjà, lui-même, dans la misère, ou qui, assez souvent, se soucie peu de bien-être de ces infortunés », analyse-t-il.

 

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH Cliquer sur la photo pour lancer la galerie. (Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH.)

 

« Restavek à la maison »

Dans son bureau, Berline, la trentaine révolue, reçoit souvent des enfants victimes ou en contact avec la violence. Psychologue de profession, elle travaille depuis trois (3) ans en appui psychosocial dans un centre encadrant des jeunes à Cité Soleil. Son constat est clair : « Quand vous analysez la définition et les caractéristiques des enfants-domestiques, vous allez vous rendre compte que ces enfants sont des « Restavek » chez eux, à la maison », argument-elle l’air triste.

Les enfants en domesticité sont issus généralement de familles rurales pauvres. Ils sont placés dans d’autres familles avec l'espoir qu'ils auront un toit, des repas réguliers, une éducation, et ainsi bénéficieront d'une vie meilleure.

A Cité Soleil, les enfants victimes de maltraitance ne sont pas nécessairement placés dans des familles d’accueil. « Cela arrive souvent d’avoir un enfant dans sa famille nucléaire qui soit traité comme un « Restavek » : ils subissent les mauvais traitements, de la violence corporelle ou psychologique, des injures…», affirme la psychologue, comptant sur les doigts de sa main les différentes formes que peut prendre cette violence. « Ils sont contraints d’exécuter des tâches ménagères qui dépassent largement leur âge et leur capacité physique», dénonce Berline.

Non loin du marché communautaire de la Croix Bleue, une jeune dame se promène, un vieux sac en main, cherchant des bouts de métaux en aluminium usagés, qu’elle va revendre. C’est sa survie… Elle emmène avec elle sa petite Marie, quatre ans, chétive et salle. Ce, en dépit de l’intensité de la chaleur. « En aucun cas, je ne laisserai mes enfants sous la garde de quiconque, même pour faire des courses, encore moins en domesticité », martèle cette mère de cinq enfants, avant de continuer sa quête. Elle est peut-être consciente de la gravité de la violence sur les enfants.

*Comme tous les autres noms cités dans cet article, Daniel est un pseudo.

- Jean-Etiome Dorcent/UN-MINUSTAH

Vidéo : Les outils du théâtre-forum sont utilisés pour résoudre les différences dans les communautés comme à Cité Soleil.