Entre avancées et inquiétudes : l’Expert indépendant des Nations Unies fait le point sur la situation des droits de l’homme en Haïti

4 déc 2012

Entre avancées et inquiétudes : l’Expert indépendant des Nations Unies fait le point sur la situation des droits de l’homme en Haïti

A l’occasion de sa onzième visite de suivi dans le pays du 25 novembre au 1er décembre derniers, Michel Forst, l’Expert indépendant des Nations Unies a émis quelques inquiétudes quant au respect des droits de l’homme en Haïti. Suivez quelques extraits de ses déclarations de à la presse.

Entre avancées et inquiétudes : l’Expert indépendant des Nations Unies fait le point sur la situation des droits de l’homme en Haïti

Photo : UN/MINUSTAH

L’Expert indépendant est un des rapporteurs spéciaux des Nations Unies, et c’est le Secrétaire général des Nations Unies, sur la base d’une recommandation faite par le Conseil des droits de l’homme de Genève qui m’a confié la mission de suivre la question des droits humains en Haïti. L’objectif qui est poursuivi est d’abord tourné vers la population du pays, parce que les recommandations qui sont faites ont essentiellement pour objectif de donner ou de redonner aux hommes, aux femmes et aux enfants de ce pays un accès à un ensemble de droits proclamés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais qui sont également garantis par la Constitution amendée de 1987.

Les principales observations que j’ai pu faire lors de cette onzième mission portent en partie sur le fonctionnement de la justice, de la police, du système pénitentiaire et de l’accès aux droits économiques et sociaux, la sécurité, la protection de la population, sans oublier la question de l’impunité.

Sur le plan formel, des avancées ont été constatées, je pense à la nomination des membres de la Cour de cassation et du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, sur lequel j’avais fondé beaucoup d’espoir. Mais je suis inquiet de voir que, dans la pratique, notamment dans le domaine de la réforme de la justice, la situation semble maintenant bloquée. Et je ne peux que redire ma profonde déception de voir le mouvement amorcé par le vote des 3 lois sur la réforme de la justice rester lettre morte, comme si l’indépendance de la magistrature ne représentait pas l’un des enjeux majeurs pour la mise en œuvre de l’état de droit. Je souhaite ici redire toute ma confiance dans le développement de ce Conseil. J’ai lancé un appel à la communauté internationale pour que le soutien administratif et financier lui soit accordé, permettant à cette jeune institution de prendre son envol et de jouer enfin le rôle qui lui est dévolu par la constitution.

Des inquiétudes sur la situation sécuritaire

Je suis inquiet de voir que continuent des actes d’arrestations ou de détentions illégales ou arbitraires. Cette semaine je suis allé au Cap Haïtien où m’a été signalé un groupe de 18 personnes arrêtées et conduites à la prison sans mandat de dépôt et toujours détenues illégalement à la date d’aujourd’hui. Il n’est pas normal que de tels comportements restent sans réaction de l’institution judiciaire. C’est un signal de plus envoyé du désordre de l’institution judiciaire, dès lors que règne l’impunité.
Dans le domaine pénitentiaire, la situation ne s’est pas véritablement améliorée, il y a actuellement 8.860 personnes dans les 17 établissements pénitentiaires du pays. Et la place allouée aux détenus et prévenus est de 0.6 m2 en moyenne, et de seulement 0.33 m2 à la prison de Anse à Vaux. Je rappelle une fois encore que la prison ne devrait pas être un lieu de souffrance, mais un lieu de privation de liberté dans lequel l’ensemble des autres droits doivent être garantis.

Cette semaine, j’ai visité la prison de la Croix des Bouquets. Cet établissement est bien construit, mais si des efforts particuliers ne sont pas consentis pour assurer son fonctionnement, tous les espoirs qui avaient été mis dans cet établissement risquent d’être réduits à néant, faute de financement adéquat. Je pense notamment à la dotation en personnel et en budget.

Neuf détenus sur dix à Port-au-Prince sont en détention préventive prolongée
Tout le monde sait que si les prisons sont surpeuplées, c’est d’abord à cause de la détention préventive prolongée. Ce qui frappe d’abord, c’est la forte disparité entre Port-au-Prince et les départements. Près de 90% de détention préventive à Port-au-Prince, contre seulement 57% dans les régions.

Le traitement de la détention prolongée appelle d’abord une réponse plus forte en matière de lutte contre la corruption dans l’appareil judiciaire. Il faut une meilleure gestion du temps des magistrats du siège et du parquet, une utilisation beaucoup plus active de toutes les dispositions du code d’instruction criminel, y compris le recours à l’habeas corpus, une refonte du code pénal qui introduise des dispositions nouvelles comme la comparution immédiate et des peines alternatives à la détention comme le rappel à la loi ou les travaux d’intérêt général. Dans certains cas emblématiques, Haïti à démontré que la justice peut agir très rapidement quand elle le veut, comme dans le cas Brandt. Cette célérité devrait s’appliquer à tous les cas, ce qui éviterait la détention préventive prolongée.

Dans le domaine de la police, il persiste un climat délétère que la nouvelle Inspection Générale de la Police Nationale Haïtienne devra traiter. La situation sécuritaire a empiré, le nombre de morts violentes par balle ou par arme blanche est impressionnant, l’impunité dont bénéficient les auteurs d’atteintes aux droits fondamentaux ne peut que favoriser le retour ou la recrudescence de la violence. Il faut des actes forts, des gestes clairs, des décisions sans complaisance, afin de montrer la détermination des autorités haïtiennes de s’attaquer sérieusement à la question.

Vers le respect des droits économiques et sociaux

Je me réjouis du soutien apporté au développement de l’institution de l’OPC. J’ai salué le vote de la loi organique, la mise à disposition de ressources financières et humaines, la création de bureaux régionaux pour rapprocher l’institution de la population. Il est en effet indispensable que, à terme, et notamment dans le cadre du départ de la MINUSTAH, les haïtiennes et les haïtiens puissent s’adresser partout dans le pays à leur Protecteur, dès lors qu’ils sont victimes de la mal administration ou d’atteintes flagrantes à leurs droits fondamentaux.

Dans le domaine des droits économiques et sociaux, chacun comprend que ce dont le pays a le plus besoin, c’est de créer des emplois, pour permettre à chacun de vivre décemment et d’avoir accès aux services de base. Le développement économique est intimement lié au respect des droits et le respect des droits de l’homme est un des facteurs de la stabilité dont ont besoin les entreprises pour sécuriser leurs investissements.
Le gouvernement doit maintenant donner des signaux pour montrer que ce qui est en jeu en Haïti ne relève pas seulement de la restauration de la justice, de la police ou du système pénitentiaire, mais vise bel et bien à garantir l’effectivité de tous les droits.
Enfin, sur le processus électoral à venir et sur la mise en place du Conseil Electoral Permanent, mon rôle consiste à rappeler que la seule légalité qui doit prévaloir, c’est le respect des dispositions de la constitution de 1987 amendée. Et je me réjouis de constater que tout cela dénote une véritable aspiration à faire pleinement jouer les rouages de la démocratie et je ne peux que saluer la volonté des Haïtiennes et des Haïtiens de s’exprimer en désignant eux-mêmes leurs élus.