Gertrude ou le quotidien d’une veuve

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14 mar 2014

Gertrude ou le quotidien d’une veuve

Bien qu’elles représentent 51% de la population haïtienne, les femmes n’ont pas le même accès à l’éducation et à la formation professionnelle que les hommes. Conséquence, beaucoup d’entre elles n’ont d’autre choix que la débrouille.

Photo: Logan Abassi-UN/MINUSTAH Photo: Logan Abassi-UN/MINUSTAH

« Dimanche dernier, j’ai pu vendre pour 1 500 gourdes », (environ 34 dollars US) dit, satisfaite, Gertrude, qui vend des boissons sur un trottoir du carrefour de l’aéroport à Port-au-Prince.

Chez Gertrude et ses voisins de trottoir, on vit au-jour-le-jour. Elle harangue un vendeur de glace en gros cubes : « donnes-moi [de la glace] pour 25 gourdes !, avant de remettre les boissons multicolores, jus de fruits et sodas, dans un  congélateur en plastique posé sur un "socle" fait de morceaux de blocs de béton amassés ça et là fa faveur de travaux de constrution en cours dans la zone.

Pas d’électricité ici, c’est la glace achetée chaque jour qui conservera la fraicheur des boissons.
Chaque soir, elle laisse ses bouteilles dans le congélateur d’une proche parente habitant non loin de son site habituel de vente.

Comme de nombreuses femmes observées dans les rues, Gertrude se déplace d’un point à un autre de la capitale haïtienne, profitant des évènements tels que des foires ou, plus récemment, le carnaval. C’est là qu’elles font leurs meilleures ventes, avec des bénéfices pouvant atteindre 1 000 gourdes par jour.

Une économie informelle de femmes

En Haïti, « être marchand s’improvise », constate la Plate-forme des organisations de défense des droits humains (POHDH) dans un rapport.
En effet, c’est généralement pour les femmes sans qualification professionnelle et sans capital la seule possibilité de lutter contre le chômage ou la faim.
Sur une population active de 2,9 millions de personnes, 1,9 millions se retrouvent dans le secteur informel dont 52% de femmes.

A la précarité de l’activité, s’ajoutent des conditions d’exercice difficiles. Ces femmes vendent sur les trottoirs, exposées aux intempéries, aux accidents de la route ou même au vol. D’autres vendent sur des marchés publics mais dans des conditions d’hygiènes parfois déplorables, entassées et à même le sol. Certaines enfin brave l’insécurité en vendant jusqu’à tard le soir, dans l’espoir de gagner quelques Gourdes de plus.

Le règne de la débrouille

Quand elle n’expose pas sa glacière sur le trottoir – à cause de travaux de construction d’un viaduc - Gertrude ne chôme pas. Elle se débrouille pour trouver d’autres activités pour survivre.

« Parfois, des clients m’appellent pour laver leur linge, alors je ferme mon commerce, et j’y vais puisque que je n’ai rien d’autre pour nourrir mes enfants », raconte cette femme dont le mari a péri dans le séisme du 12 janvier 2010. Cette activité occasionnelle peut elle aussi lui rapporter jusqu’à 1 000 gourdes par jour selon la quantité de linge à nettoyer.

« J’aimerais bien agrandir mon commerce, si j’avais un crédit », rêve cette femme à la carrure imposante et à la voix roque.
A défaut de crédit, elle emprunte à des connaissances à des taux variés. « Si j’emprunte 2 000 gourdes, je dois rembourser 2 250 gourdes, et je dois rembourser 100 gourdes par jour jusqu’à écoulement de la dette », explique-t-elle.

Pour vendre plus et gagner plus, elle arrive tôt, parfois avant 7 heures du matin « pour vendre quelques bouteilles » particulièrement aux parents préparant le déjeuner de leurs enfants écoliers. Et ce n’est qu’à la tombée de la nuit qu’elle rentre chez elle.

Rêve envolé

Femme battante, les vicissitudes de la vie ne lui ont pas fait baisser les bras, même si son rêve de devenir avocate s’est envolé il y a fort longtemps.
« Quand je réfléchis à cela, je me dis que j’ai gâché ma vie, lorsque je suis tombée enceinte entrainant l’arrêt de mes études. Mes parents, sans ressources, ne pouvaient rien faire d’autre pour moi », soupire-t-elle.

Militante pour l’égalité des sexes au sein d’une association de femmes, Gertrude souhaite qu’au-delà des traditionnelles journées de réflexion organisées le 8 mars, « les femmes soient mieux encadrées pour leur permettre de jouir pleinement de l’ensemble des droits qui leur sont reconnus ».

Pierre Jerome Richard