Journée nationale des détenus

10 nov 2014

Journée nationale des détenus

Victoria Hazou - UN/MINUSTAHVictoria Hazou - UN/MINUSTAH

 

Allocution au nom de M. Carl Alexandre, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général par M. Giuseppe Calandruccio, représentant du Haut-Commissaire aux droits de l’homme en Haïti

Madame la protectrice du citoyen,

Monsieur le doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince,

Mesdames et Messieurs les Ministres et leurs représentants,

Madame la directrice de l’administration pénitentiaire

Monsieur le sous-directeur de la région Ouest,

Et surtout vous, mesdames, qui êtes les hôtes de la prison de Pétion-Ville et en l’honneur de qui se tient cette journée nationale des détenus.

Carl Alexandre, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, aurait souhaité être ici aujourd’hui mais il m’a demandé de le représenter, ce dont je suis très content.

Je vais d’abord m’adresser à vous, mesdames, pour vous dire à quel point j’ai plaisir à être présent aujourd’hui parmi vous. Partager aussi avec vous la déception et la tristesse que je ressens quand je constate la situation dans les prisons du pays. Partout où je suis allé, j’ai rencontré des détenus qui, malgré tout, avaient réussi à conserver un minimum de dignité et, surtout, l’espoir. L’espoir d’être jugé rapidement. L’espoir d’être innocenté. L’espoir d’être libéré. L’espoir de retrouver leur famille.

J’aimerais profiter de l’occasion pour m’adresser aussi aux représentants de la police nationale. La PNH a un rôle important à jouer pour contribuer à l’amélioration de la situation des prisons. D’abord en allouant à l’administration pénitentiaire les ressources matérielles et humaines dont elle a besoin pour s’acquitter de ses responsabilités. Mais surtout, en prenant les mesures nécessaires pour que chaque agent qui procède à une arrestation respecte scrupuleusement les prescrits de la législation nationale. Encore trop de personnes sont arrêtées illégalement et viennent encombrer les prisons. Depuis le début de l’année, plus de 8 000 personnes ont été arrêtées et mises en dépôt dans l’une ou l’autre des 17 prisons du pays. Combien parmi celles-ci ont été arrêtées avec un mandat illégalement émis ? Combien ont été arrêtées sans mandat et sans être dans une situation de flagrant délit ? Combien ont été arrêtées sans avoir commis aucune infraction ? La MINUSTAH estime qu’un trop grand nombre de personnes arrêtées illégalement encombre les prisons et les cabinets de magistrats.

Ce qui m’amène à m’adresser aussi plus particulièrement aux magistrats et aux juges. Trop de détenus attendent trop longtemps une décision finale quant aux accusations portées contre eux. Les investigations préliminaires, les enquêtes et les instructions prennent trop de temps. Les magistrats recourent trop systématiquement à la détention provisoire. L’enrôlement des affaires, tant aux assises qu’au correctionnel prend trop de temps. On estime qu’il y a actuellement au pays près de 3 000 personnes qui sont en attente d’une décision sur leur sort depuis plus de deux ans. Il y a ici même à la prison de Pétion-Ville des femmes qui attendent leur procès depuis huit, neuf et dix ans. Ceci n’est pas une exception et cette situation existe dans la plupart des prisons du pays. Cette situation est proprement inadmissible et devrait choquer toute personne. J’invite les magistrats et les juges à voir que, derrière chaque dossier en souffrance, il y a non seulement un suspect qui attend d’être jugé, mais il y a aussi une victime qui attend d’obtenir justice, d’obtenir réparation pour les crimes subis. Victime et suspect, chaque jour d’attente leur fait perdre à tous deux un peu plus de leur confiance envers le système judiciaire.

La détention provisoire représentent un coût énorme pour la République d’Haïti. Et pas seulement les coûts directs liés à la détention (salaires des gardiens, nourriture, etc.), mais surtout les coûts cachés : l’impact socio-économique global sur les familles, les communautés et l’ensemble des citoyens. Haïti a besoin de l’apport de chacun de ses citoyens et ne peut pas se priver de la contribution de citoyens qui, au lieu d’être à la charge de la société, pourraient être productifs et contribuer au développement de leurs communautés. Je pense ici aujourd’hui plus particulièrement aux mères, aux conjointes, aux sœurs, aux filles qui au lieu d’appuyer et de soutenir leurs enfants, leur mari, leurs frères, leurs parents, leurs voisins dans le développement de leur communauté sont ici à attendre un procès pour une infraction qui est peut-être mineure ou qu’elles n’ont peut-être pas commise. Et je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un grave gaspillage de ressources rares. Et je ne peux m’empêcher de croire que des solutions simples pourraient régler une partie importante du problème.

Tous ces détenus à qui cette journée est consacrée, qui ont été arrêtés illégalement, qui attendent trop longtemps un procès dans des conditions difficiles, chacun de ces détenus dont les droits sont bafoués est le symbole de la profonde défaillance de l’État à respecter l’un des piliers de l’État de droit dans ce pays.

Il y a un peu plus de 20 ans, les Nations Unies étaient invitées à venir appuyer le développement démocratique en Haïti. Dès le début, des experts haïtiens et étrangers se sont penchés sur les dysfonctionnements du système judiciaire et sur la question de la détention provisoire prolongée. Très rapidement, les causes ont été identifiées et des solutions ont été acceptées par les autorités haïtiennes. Personnellement, je ne connais pas de phénomène qui a été autant étudié mais pour lequel aussi peu de résultats concrets ont été obtenus. Localement, au cours des années, des initiatives ont pu être mises en place, mais aucune n’a eu d’impact profond. Pensez seulement qu’il y avait moins de 1 600 détenus il y a 20 ans et qu’il y en a plus de 10 500 aujourd’hui. Pendant cette période le nombre de détenus a augmenté six fois plus rapidement que le nombre total d’habitants du pays. Le temps est venu d’abandonner les initiatives ponctuelles, locales, les projets-pilotes, etc. Le temps est à l’urgence !

Merci !