LA DÉTENTION PROVISOIRE : LA RÈGLE OU L’EXCEPTION ?

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24 fév 2014

LA DÉTENTION PROVISOIRE : LA RÈGLE OU L’EXCEPTION ?

De la Commission consultative de 1996 aux Bureaux d’Assistance légale (BAL), les initiatives prises pour combattre la détention provisoire prolongée sont légions. Toutes ont échoué par la non-application des résolutions prises.

Victoria Hazou - UN / MINUSTAH Victoria Hazou - UN / MINUSTAH

« Haïti n’a pas un taux d’incarcération si élevé [avec 96 prisonniers pour 100 000 habitants], en revanche les prisons connaissent des taux d’occupation parmi les plus élevés du monde, avec une proportion anormale de personnes en détention provisoire prolongée », relève Luc Côté, coodonnateur de l’état de droit à la MINUSTAH.

Selon les prévisions de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), les 18 prisons d’Haïti ne peuvent pas héberger plus de 2 383 prisonniers. Mais à la date du 29 décembre 2013, les statistiques officielles dénombrent 9 921 détenus dont la majorité, soit 79%, est en détention provisoire.

Port-au-Prince, laboratoire de la détention provisoire prolongée

La détention provisoire prolongée a gagné toutes les prisons du pays. Mais le véritable ‘laboratoire’ est la juridiction de Port-au-Prince qui compte 82,16% des 6 920 prévenus du pays. Plus préoccupant, le Centre de rééducation des mineurs en conflit avec la loi (Cermicol) affiche le taux de détention provisoire le plus élevé : 93,07%.

Il est suivi du pénitencier national où les prévenus représentent 90% de l’effectif. Même la nouvelle prison modèle et moderne de Croix-des-Bouquets est menacée par ce phénomène généralisé. 49,34 % de prisonniers ne sont pas jugés.

En province, la situation est légèrement meilleure. Cependant quatre prisons enregistrent un taux de détention provisoire supérieur à 50%. Il s’agit de la prison des Cayes et de Jacmel entre autres. Fort Liberté, St Marc et Hinche sont les juridictions qui résistent à ce cancer carcéral.

Chaque mois, 850 nouveaux prévenus sans jugement

Les statistiques concordantes de la DAP et de la MINUSTAH renseignent qu’en moins de dix ans, la détention provisoire prolongée a doublé, passant de 3 000 en 2004 à 6 920 prévenus en 2013. Le rythme de croissance serait d’au moins 850 nouveaux prisonniers par mois, informe-t-on de sources officielles.

« La détention provisoire prolongée est une menace pour tous les citoyens haïtiens », alerte Frantz Gillot de la section justice de la MINUSTAH.

Des conditions inhumaines

« La durée moyenne de détention provisoire avant procès au deux février 2014 s’établit au-delà de 20 mois au pénitencier national », lit-on dans un rapport de la section état de droit. Avec 69 prisonniers en détention provisoire sur 100, la surpopulation carcérale menace. L’espace au sol réservé à chaque prisonnier s’en voit réduit.

La DAP prévoit 2,5 m2 par prisonnier pour une population carcérale de 2 383. Mais avec 9 921 détenus, cet espace se réduit comme peau de chagrin soit 0,62 m2. « Avec moins d’un mètre carre d’espace, les détenus ne peuvent ni se coucher, ni s’asseoir », explique Frederick Gouin de la section des droits de l’homme de la MINUSTAH.

En effet, les normes internationales en la matière exigent au minimum 4,3 m2 d’espace par détenu si ce dernier a droit à des recréations et jouit de bonnes conditions de détention en termes de santé, d’alimentation et d’hygiène.

Une violation des droits humains

« La détention provisoire prolongée équivaut à un traitement inhumain, cruel et dégradant et constitue une grave violation des droits humains prévus aux conventions internationales auxquelles l’état haïtien est partie », tranche Carl Alexandre, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire General de l’ONU.

Le droit à un procès « équitable dans un délai raisonnable » prescrit par la Convention américaine relative aux droits de l’homme (ratifié par Haïti) et la constitution haïtienne de 1987 en son article sept est le plus bafouée dans cette circonstance.

La détention provisoire prolongée viole aussi les articles du Code d’instruction criminelle qui prévoit, la comparution immédiate en cas de flagrant délit ou la « transmettre sans délai » des dossiers des prévenus au juge d’instruction ou au tribunal.

Victoria Hazou - UN / MINUSTAH Victoria Hazou - UN / MINUSTAH

Les causes profondes d’une pratique qui a la peau dure

Beaucoup expliquent la longévité dont bénéficie la détention provisoire prolongée par des dysfonctionnements structurels de l’appareil judiciaire. Des problèmes tels que l’inconscience professionnelle ou la corruption. D’autres voient aussi dans ce problème des textes désuets ou inadaptés.

D’autres encore accusent la société haïtienne d’être trop sévère à l’égard des accusés. « Dans le droit interne haïtien, il y a des dispositions qui interdisent au juge d’accorder la liberté provisoire aux auteurs d’une catégorie d’infractions », confie Luc Côté.

Ce fonctionnaire de l’ONU fait allusion aux articles 95 et 97 du Code d’instruction pénal qui privent de liberté provisoire « le vagabond, le repris de justice, le voleur et l’escroc ».

Cette sévérité s’explique selon Franzt Gillot par un défaut d’identité souvent constaté dans de nombreuses affaires. « Le juge refuse de remettre l’accusé en liberté provisoire, craignant qu’il s’absente à son procès ». Ce juriste haïtien voit surtout dans l’âme haïtienne un certain puritanisme qui exerce de fortes et permanentes pressions sur le juge.

Antoine Adoum Goulgué

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