La dactylographie, le plaisir avant tout

17 juin 2016

La dactylographie, le plaisir avant tout

Pierre Jérôme Richard - UN/MINUSTAH

 

Qui s’imaginerait qu’en plein 21e siècle, à l’heure des ordinateurs portables et des tablettes, donc des technologies avancées, quelqu’un tapant encore sur une machine à écrire.

Jean Éric Brun, est généralement seul dans cette  grande cour en terre battue, renforcée par du gravier. Un tampon, une précaution qui empêche notamment la stagnation des eaux de pluies dans cet espace plutôt plat.

A l’ombre d’un amandier, à quelques pas de la Cathédrale de la ville de Hinche, ce quinquagénaire s’adonne à la dactylographie. 

 

S. M. Brun répond donc tant bien que mal à ses obligations c’est grâce à la dactylographie, une profession ou métier qui semble-t-il s’est imposé dans la vie de cet homme visiblement patient. Cependant,  jusqu’à preuve du contraire,  il n’a pas trop à s’en plaindre.

« Je suis jusqu’à présent satisfait de cette activité qui me permet de survivre. En plus, je le trouve amusant, il m’aide à chasser le stress », dit-il d’un air souriant.

M. Brun est devenu dactylographe professionnel suite à sa démission de la Mairie de sa ville natale, après 19 ans de service, jusqu’au poste de directeur général. Son premier emploi, il l’a donc eu au sein de cette institution où il a démarré comme rédacteur.

A ce titre, il préparait correspondances, rapports et autres documents relatifs au fonctionnement du bureau. Enfin, tout ce qui devait sortir de l’administration portait aussi son empreinte.

S’établir à son propre compte n’est pas toujours chose facile. Cependant sans enseigne ni affiche publicitaire, M. Brun s’est fait connaitre dans la cité. Sa réputation et notoriété acquise à la Mairie s’est répandue dans toute l’administration publique locale sinon dans toute la ville. La preuve, sa clientèle inclut le Palais de justice, des tribunaux de paix, des cabinets d’arpenteurs et de notaires en faveur desquels, il prépare notamment des procès-verbaux. Il  lui arrive aussi de travailler comme greffier ad hoc. « Quand les jugements sont longs, ils font appel à moi, ils me les confie et moi, je les dactylographie pour eux ».

Si la dactylographie ne lui procure pas un salaire fixe ou même une rentrée stable, « il me permet d’acheter du bétail que je confie à des paysans, et grâce à la reproduction de ce bétail, je peux économiser et acquérir d’autres biens », affirme Brun, nom sur lequel la grande majorité le connait.

10.000 gourdes, aujourd’hui l’équivalent de moins de 200 américains (62 gourdes pour 1 dollar),  c’est généralement le maximum de sa rentrée mensuelle. Et, ce « lorsqu’il y a vraiment de l’activité », insiste-t-il. L’agriculture aussi fait partie des activités économiques de ce monsieur qui se dit aussi « planteur, laboureur ou encore cultivateur ».

 « Rico » (pour les intimes) possède aussi de bonnes notions en électricité, sa profession de départ, mais il ne les utilise que dans un cadre restreint, soit au niveau familial. La famille pour lui va au-delà du noyau père, mère et enfants. D'ailleurs, il n’a pas fondé de foyer.   Mais c’est comme tout comme. A la manière d’un boy-scout il est toujours « prêt » à intervenir, à aider dès qu’un problème se présenterait. A titre d’exemple, vis-à-vis de sa mère actuellement veuve, il se sent le premier responsable devant répondre à ses besoins, « Hôpital, entretien, bref tout ce dont elle a besoin pour continuer à vivre ».

La raison explique-t-il, c’est que tous les autres frères et sœurs- cinq en tout- ont fondé un foyer. Il est le seul à vivre le plus longtemps sous le toit familial. Et jusqu’à présent, il y est encore, pour avoir choisi le célibat,  faute d’avoir pu répondre positivement à sa vocation de prêtre ; ses parents s’y étant opposés.

Mais ceci n’enlève rien à son esprit de service. Rico est toujours « content d’être au service de la famille ». Il est on ne peut plus «  satisfait du coup d’épaule que je leur donne ». 

Exercer sa profession de départ dans un cadre réduit pour Rico pourrait avoir au moins une explication. Il se réfère à ses premières expériences qui lui ont laissé des souvenirs plutôt douloureux. Il raconte

 

Si l’accident l’obligea à discontinuer ses études en électricité après deux ans alors qu’elles devaient durer trois, et revenir chez lui, il n’a semblé en rien réduire son ardeur à tester la vie sur d’autres aspects. D’ailleurs, cet homme serviable qui ne se lasse jamais de travailler ou de rendre service est ‘’toujours prêt’’ à bouger.

Et, ce n’est pas son âge ou ses expériences qui obligeront tonton Co, (pour certains neveux et nièces)  à se déplacer lourdement. A l’observer marcher, on serait loin de croire qu’il est déjà âgé de 58 ans. Son allure, sa façon de (lever les pieds) bouger laissent toujours l’impression qu’il prend de l’aile.

En termes d’aspiration,  il souhaiterait pouvoir agrandir son « business » en y ajoutant des photocopieuses et même informatiser le système, et ainsi offrir de meilleurs services en écrits utilitaires à sa clientèle. Pourquoi pas à toute la population de la région.

 

Pierre Jérôme Richard