Journée mondiale de la radio : les femmes donnent de la voix

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13 fév 2014

Journée mondiale de la radio : les femmes donnent de la voix

Photo REFRAKA de Jean Herby Lafaille
A l’occasion du 13 février, Journée mondiale de la Radio, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon estime nécessaire de promouvoir la voix des femmes sur les ondes afin d’inverser les stéréotypes sexistes parfois véhiculés dans les médias. En Haïti, l’une de ces voix est celle de Marie Guyrlène Justin, qui dirige le Réseau des femmes des radios communautaires haïtiennes (REFRAKA). Originaire de Grand Goâve, la journaliste de Radio SAKA, où elle a fait ses premières armes, revient sur des années de luttes et d’avancées au profit des femmes de radio.

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Parlez-nous de votre expérience, est-ce difficile d’être une femme journaliste ?
Au début, j’ai trouvé l’expérience un peu difficile avec la pression des parents ou les remarques mal placées des amis. Et puis je faisais cela bénévolement, juste par engagement personnel. Un engagement renforcé par le fait que la population aimait écouter Radio SAKA, créée en 1994, la première à émettre dans la communauté de Grand Goâve, proche de l’épicentre du séisme du 12 janvier 2010. Les difficultés se ressentaient pour moi surtout dans les relations hommes-femmes. Une façon de dire qu’en tant que femme, on n’avait pas sa place derrière un micro, dans un studio de radio, ou pour réaliser des interviews.
Mais la volonté et surtout beaucoup d’audace, ont fini par faire accepter le fait que nous les femmes avions notre place à la radio tout comme les hommes.

Comment se traduisaient ces formes de discrimination ?
Cela ne se faisait pas sentir au niveau des collègues des autres organisations, mais surtout du côté de la population.
Si par exemple, nous autres femmes, nous sommes en studio et qu’un habitant a une doléance, une déclaration, quand celui-ci se présente pour l’enregistrer, il vous dit tout simplement que c’est quelqu’un d’autre, un homme bien sûr, qu’il veut voir.

1994-2014 : 20 ans de Radio Saka. Est-ce que ces discriminations se ressentaient au niveau salarial également ?
Nous sommes bénévoles. Car la radio communautaire par définition est un outil mis en place par des organisations pour défendre une cause, faire passer les revendications de la population qu’elles accompagnent dans la défense de ses droits.
Mais avec la mise en place de REFRAKA en 2001, nous avons reçu des subventions pour encadrer les femmes dans les radios communautaires, les former, et les aider à intégrer beaucoup plus ces espaces, jusque-là « réservés » aux hommes.

Vous parlez de l’ensemble du pays, y compris les zones rurales ?
Oui, nous sommes présentes dans 9 des 10 départements du pays, excepté les Nippes. Jusqu’en 2001, les rares femmes étaient là pour faciliter la réalisation de spots ou pour recevoir, charmer des visiteurs avec leur voix, leur sourire. Maintenant, elles se retrouvent à tous les niveaux de la réception à la direction.
Aujourd’hui, je me réjouis qu’il y ait une cinquantaine de femmes techniciennes de radio alors qu’une centaine d’autres produisent et animent des émissions variées.

A titre d’exemple le Magazine radiophonique REFRAKA est produit uniquement par des femmes. Pour nous c’est une petite victoire, car pouvoir travailler dans une radio communautaire c’est une chose mais pouvoir participer pleinement à la bonne marche de cette structure en est une autre.

Alors quelles sont les barrières franchies pour arriver à ce stade-là ?
La plus grande, c’est celle de la connaissance, c’est-à-dire pouvoir manier les équipements, préparer une émission, conduire une interview.
La deuxième c’est le machisme, parce que les hommes ne veulent pas des femmes à tous les niveaux. Souvent ils font croire que les espaces sont là, et que les femmes refusent de les intégrer ou que ces dernières ne sont pas prêtes.
Autre contrainte, ce sont les préjugés, les tares, les façons dont la société nous perçoit. Et puis, sachant que les radios communautaires fonctionnent surtout le soir, les conjoints, fiancés, maris ou petits amis ne voient pas d’un bon œil, que l’on passe la nuit dans des studios généralement implantés dans les sections communales reculées où les moyens de locomotion font défaut.

Alors qu’est-ce qui a été fait pour aider les femmes à affronter ces défis ?
D’abord, la mise en place du réseau. La priorité y a toujours été accordée aux femmes dans tous les domaines, surtout en ce qui a trait à la formation.
Et, en second la relance dans le pays du mouvement féministe visant la promotion, l’émancipation de la femme en Haïti.

Parlez-nous de ces journalistes qui sont des mères seules et sont obligées parfois de passer la nuit ou toute une journée sur le terrain.
A chaque étape de la vie, il faut faire des sacrifices. Je prends le cas de ma collègue Adeline, dans le Plateau central. Il lui arrive de passer des semaines hors de son département pour travailler alors qu’elle élève seule son enfant, privé de père. Elle a recherché et obtenu la compréhension et l’aide d’autres membres de sa famille.
Comment la population accueille-t-elle le fait que des femmes réalisent des interviews, par exemple ?
La tendance évolue peu à peu. On gagne du terrain sur des mentalités qui font croire que les radios communautaires sont de petites structures au sein desquelles évoluent des gens très peu formés, où le rôle des femmes est minime.
Même parmi les femmes, membres d’associations féminines, ici à Port-au-Prince où REFRAKA a son siège, certaines rechignent à nous accorder une interview alors qu’elles sont disponibles pour les stations à caractère commercial, prisées dans la capitale. Ces femmes mettent de côté la lutte pour le bien-être collectif, au profit de leur visibilité.

Est-ce que malgré tout, des femmes s’intéressent à la radio ou au journalisme radio ?
En 2001, on était 8 femmes à mettre sur pied REFRAKA, maintenant on est environ 200 à travailler dans des radios communautaires. Cependant on a rencontré de la résistance même chez les femmes, parce que parler de la participation des femmes à l’amélioration de leur qualité de vie, n’est pas facilement acceptable même pour elles. Parfois, certaines disent qu’elles ne voient pas la nécessité de parler de thèmes relatifs à la femme. On rencontre des femmes qui ont des comportements plus sexistes que des hommes.

Alors que suggérez-vous pour améliorer le traitement des questions relatives au genre ou encourager les femmes à travailler dans les médias ?
L’important, c’est de traiter la femme en tant qu’humain avec respect et dignité. Les responsables de medias devraient prendre le temps de s’interroger sur la manière d’améliorer l’image de la femme à travers des programmes favorisant la participation des femmes, et des politiques facilitant leur engagement dans tous les domaines : politique, social, économique et culturel.

Propos recueillis par Bettina Pérono et Jean Herby Lafaille

Retrouvez toutes les infos sur la Journée mondiale de la radio sur le site de l’UNESCO.

A l’occasion du 13 février, Journée mondiale de la Radio , le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon estime nécessaire de promouvoir la voix des femmes sur les ondes afin d’inverser les stéréotypes sexistes parfois véhiculés dans les médias.

En Haïti, l’une de ces voix est celle de Marie Guyrlène Justin, qui dirige le Réseau des femmes des radios communautaires haïtiennes (REFRAKA). Originaire de Grand Goâve, la journaliste de Radio SAKA, où elle a fait ses premières armes, revient sur des années de luttes et d’avancées au profit des femmes de radio.

Photo REFRAKA de Jean Herby Lafaille

Parlez-nous de votre expérience, est-ce difficile d’être une femme journaliste ?

Au début, j’ai trouvé l’expérience un peu difficile avec la pression des parents ou les remarques mal placées des amis. Et puis je faisais cela bénévolement, juste par engagement personnel. Un engagement renforcé par le fait que la population aimait écouter Radio SAKA, créée en 1994, la première à émettre dans la communauté de Grand Goâve, proche de l’épicentre du séisme du 12 janvier 2010.

Les difficultés se ressentaient pour moi surtout dans les relations hommes-femmes. Une façon de dire qu’en tant que femme, on n’avait pas sa place derrière un micro, dans un studio de radio, ou pour réaliser des interviews.
Mais la volonté et surtout beaucoup d’audace, ont fini par faire accepter le fait que nous les femmes avions notre place à la radio tout comme les hommes.

Comment se traduisaient ces formes de discrimination ?

Cela ne se faisait pas sentir au niveau des collègues des autres organisations, mais surtout du côté de la population.
Si par exemple, nous autres femmes, nous sommes en studio et qu’un habitant a une doléance, une déclaration, quand celui-ci se présente pour l’enregistrer, il vous dit tout simplement que c’est quelqu’un d’autre, un homme bien sûr, qu’il veut voir.

1994-2014 : 20 ans de Radio Saka. Est-ce que ces discriminations se ressentaient au niveau salarial également ?
Nous sommes bénévoles. Car la radio communautaire par définition est un outil mis en place par des organisations pour défendre une cause, faire passer les revendications de la population qu’elles accompagnent dans la défense de ses droits.

Mais avec la mise en place de REFRAKA en 2001, nous avons reçu des subventions pour encadrer les femmes dans les radios communautaires, les former, et les aider à intégrer beaucoup plus ces espaces, jusque-là « réservés » aux hommes.

Vous parlez de l’ensemble du pays, y compris les zones rurales ?

Oui, nous sommes présentes dans 9 des 10 départements du pays, excepté les Nippes. Jusqu’en 2001, les rares femmes étaient là pour faciliter la réalisation de spots ou pour recevoir, charmer des visiteurs avec leur voix, leur sourire. Maintenant, elles se retrouvent à tous les niveaux de la réception à la direction.
Aujourd’hui, je me réjouis qu’il y ait une cinquantaine de femmes techniciennes de radio alors qu’une centaine d’autres produisent et animent des émissions variées.

A titre d’exemple le Magazine radiophonique REFRAKA est produit uniquement par des femmes. Pour nous c’est une petite victoire, car pouvoir travailler dans une radio communautaire c’est une chose mais pouvoir participer pleinement à la bonne marche de cette structure en est une autre.

Alors quelles sont les barrières franchies pour arriver à ce stade-là ?

La plus grande, c’est celle de la connaissance, c’est-à-dire pouvoir manier les équipements, préparer une émission, conduire une interview.

La deuxième c’est le machisme, parce que les hommes ne veulent pas des femmes à tous les niveaux. Souvent ils font croire que les espaces sont là, et que les femmes refusent de les intégrer ou que ces dernières ne sont pas prêtes.

Autre contrainte, ce sont les préjugés, les tares, les façons dont la société nous perçoit. Et puis, sachant que les radios communautaires fonctionnent surtout le soir, les conjoints, fiancés, maris ou petits amis ne voient pas d’un bon œil, que l’on passe la nuit dans des studios généralement implantés dans les sections communales reculées où les moyens de locomotion font défaut.

Alors qu’est-ce qui a été fait pour aider les femmes à affronter ces défis ?

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D’abord, la mise en place du réseau. La priorité y a toujours été accordée aux femmes dans tous les domaines, surtout en ce qui a trait à la formation.
Et, en second la relance dans le pays du mouvement féministe visant la promotion, l’émancipation de la femme en Haïti.

Parlez-nous de ces journalistes qui sont des mères seules et sont obligées parfois de passer la nuit ou toute une journée sur le terrain.

A chaque étape de la vie, il faut faire des sacrifices. Je prends le cas de ma collègue Adeline, dans le Plateau central. Il lui arrive de passer des semaines hors de son département pour travailler alors qu’elle élève seule son enfant, privé de père. Elle a recherché et obtenu la compréhension et l’aide d’autres membres de sa famille.
Comment la population accueille-t-elle le fait que des femmes réalisent des interviews, par exemple ?

La tendance évolue peu à peu. On gagne du terrain sur des mentalités qui font croire que les radios communautaires sont de petites structures au sein desquelles évoluent des gens très peu formés, où le rôle des femmes est minime.

Même parmi les femmes, membres d’associations féminines, ici à Port-au-Prince où REFRAKA a son siège, certaines rechignent à nous accorder une interview alors qu’elles sont disponibles pour les stations à caractère commercial, prisées dans la capitale. Ces femmes mettent de côté la lutte pour le bien-être collectif, au profit de leur visibilité.

Est-ce que malgré tout, des femmes s’intéressent à la radio ou au journalisme radio ?

En 2001, on était 8 femmes à mettre sur pied REFRAKA, maintenant on est environ 200 à travailler dans des radios communautaires. Cependant on a rencontré de la résistance même chez les femmes, parce que parler de la participation des femmes à l’amélioration de leur qualité de vie, n’est pas facilement acceptable même pour elles. Parfois, certaines disent qu’elles ne voient pas la nécessité de parler de thèmes relatifs à la femme. On rencontre des femmes qui ont des comportements plus sexistes que des hommes.

Alors que suggérez-vous pour améliorer le traitement des questions relatives au genre ou encourager les femmes à travailler dans les médias ?

L’important, c’est de traiter la femme en tant qu’humain avec respect et dignité. Les responsables de medias devraient prendre le temps de s’interroger sur la manière d’améliorer l’image de la femme à travers des programmes favorisant la participation des femmes, et des politiques facilitant leur engagement dans tous les domaines : politique, social, économique et culturel.

Propos recueillis par Bettina Pérono et Jean Herby Lafaille

Retrouvez toutes les infos sur la Journée mondiale de la radio sur le site de l'UNESCO.