Quand le réchaud traditionnel perd sa flamme

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15 déc 2014

Quand le réchaud traditionnel perd sa flamme

Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH

 

Entre le grincement des fers et tôles usagés, des artisans fabriquent avec dextérité des réchauds de toutes sortes, à Carrefour-Feuilles, banlieue de Port-au-Prince. En dépit de la science et la technique des fabricants, le métier a du mal à nourrir son maitre.
A chaque coup de marteau sur les bouts de tôles et fers usagés, l’écho retentit avec une violence peu commune dans l’entourage de cette rivière presque tarie, bourrée de détritus. C’est comme ça, depuis des décennies, à côté de ce géant canal, rempli d’ordures de toutes sortes, situé sur la route des Dalles, à Carrefour-Feuilles.

De loin, on pourrait imaginer une grande usine en ébullition. Pourtant, seulement trois ateliers de moins de trois mètres carrés, dépourvus de toute machinerie, attirent le regard. Pour accéder à l’un d’entre eux, il faut marcher avec prudence sur les berges étroites et en béton de cette rivière.

Dans l’une des masures, Steevenson 19 ans, torse nu et en sueur, est recourbé sur lui-même. Armé de son maillet et entouré de vieux morceaux de tôle, il fabrique l’un des trois pieds d’un réchaud à cendre, qui fonctionne au charbon ou avec des briquettes de papier compressé.
Ses outils : une paire de ciseaux métalliques, quelques boulons, des écrous et des burins de différentes tailles. Chaque frappe est mesurée. Chaque petit bout de clou ou de fer éparpillé au sol a son rôle. La précision est la règle. « Si j’ai tout ce qu’il me faut, je peux confectionner un réchaud en moins d’une heure», déclare-t-il avec fierté.

La première fois que ses doigts ont manipulé les fers pour la réalisation d’un réchaud, c’était en 2012, quand son père a décidé de l’initier à ce métier. « En six mois, j’avais déjà tout maitrisé », se rappelle, le jeune artisan, concentré sur le découpage d’une bribe de métal. Aujourd’hui, au prix de 125 gourdes (2. 7 US) par réchaud, Steevenson a de quoi gérer son quotidien. Mais un problème se pose. Ces réchauds se vendent de moins en moins….

 

 

Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH

 

 

Le métier n’arrive plus à nourrir son maître

 

A moins d’une dizaine de mètres de l’espace de travail de Steevenson se trouve une autre petite fabrique. Des réchauds à peine fabriqués sont empilés en désordre. Ici, se regroupent trois « gourous » du métier. La soixantaine révolue en moyenne, chacun fait son boulot, sans se laisser perturber par le visiteur.

Parmi eux, Dinéus Cheverin. Il traine derrière lui 46 ans d’expérience. L’air fatigué, il se rappelle : « Au début, on vendait les réchauds à 50 centimes ou une gourde. Aujourd’hui, la situation devient compliquée, notamment à cause de la cherté de la vie. Imaginez-vous que ma fille est admise en philo et je ne peux pas l’envoyer à l’école », regrette ce père de sept enfants, l’air découragé.

« Je sais que je n’ai plus d’avenir dans ce métier », ajoute Maurice, l’un des collègues de M. Dinéus. Le grand problème pour lui et ses collaborateurs c’est de trouver des tôles. En effet, la matière première se fait rare. Haïti ne manque pas d’entreprises qui achètent des métaux usagés. « Ce qui est un désavantage pour nous », explique Maurice.

 

 

 

 

« Parfois nous achetons des réfrigérateurs hors service. Mais assez souvent, nous sommes obligés de payer la livre de tôles à 15 gourdes », ajoute Jean-Pierre, l’autre camarade, estimant cher l’élément indispensable à leurs travaux.

« Je ne me vois pas arriver trop loin dans ce métier. Au fur et à mesure que le temps passe, les citoyens comprennent de plus en plus la nécessité d’utiliser le gaz propane. Donc, ils n’auront plus besoin de ces réchauds », argumente Johnson Jean, 30 ans, évoluant depuis 1999 dans ce domaine et dont l’échoppe se trouve aux alentours. De poursuivre : « Tout ce qu’il nous faut, c’est un peu d’encadrement de l’Etat ».

 

Rédaction : Jean-Etiome Dorcent

 

Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH Photo : Jean Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH