Thomassique se mobilise contre le lynchage

17 avr 2013

Thomassique se mobilise contre le lynchage

A Thomassique, une commune du centre d’Haïti située à 25 km de Hinche, le lynchage a longtemps été considéré par ses habitants comme une forme légitime de justice populaire. Une situation qui pourrait changer avec la mobilisation des autorités et des défenseurs des droits de l’homme.

Thomassique se mobilise contre le lynchage

Visuel : Jérome Agostini - UN/MINUSTAH

Perte de confiance dans le système judiciaire et sa capacité à appliquer la loi, manque d’éducation civique, nombre insuffisant de policiers bien équipés dans les zones à haut risque… telles sont, selon des résidents de Thomassique, une  commune rurale du département du Centre, certaines des raisons qui poussent ses habitants à se rendre justice eux-mêmes en pratiquant le lynchage de personnes suspectées de crime et délits.

Des raisons exposées lors d’un forum organisé sur le thème du lynchage avec les autorités publiques et la société civile de Thomassique, le 10 avril dernier.

En effet, les participants au forum ont recensé, pour l’année écoulée, 15 morts par lynchage, dont deux en plein centre-ville. Battues à coup de machette, de pierres ou brûlées vives par la population, les victimes étaient suspectées de vol de bétail, de viol ou accusées de sorcellerie. Une pratique de justice populaire qui constitue, selon les défenseurs des droits de l’homme, une atteinte aux droits fondamentaux de la personne et freine la bonne marche de la justice haïtienne.

Certains intervenants confessent que la faiblesse du système judiciaire sur le terrain favoriserait une telle pratique. Y compris le juge de paix suppléant, Germain Ferdinand, qui parle même de « méfiance » des justiciables en l’absence, notamment, de policiers à la frontière, ou face à la corruption de certains juges.

« Nous savons que nous n’avons pas le droit de tuer une personne suspectée d’avoir commis un crime ou un délit », reconnait par exemple Louissaint Odate. Cependant, l’agriculteur explique que, « dans la majorité des cas rapportés à la justice, le suspect, pris en flagrant délit ou pas, achète sa liberté au juge, et revient, menaçant tout le village. »

Conscient de l’existence de tels cas de figure, le commissaire du gouvernement, Moléon Richard, insiste sur « la nécessité pour les paysans de porter plainte contre les juges de paix ou tout acteur judiciaire qui leur soutire de l’argent », tout s’abstenant, d’un autre côté, de monnayer la marche de la justice.

Plus de policiers à la frontière et des lois adaptées

Plus loin, Me. Richard fait remarquer que les législateurs devraient travailler plus pour actualiser la législation haïtienne, pour que les peines infligées soient proportionnelles aux crimes et délits. « Pour certaines infractions, nos lois sont inexistantes, révolues ou inappropriées. Comment voulez-vous que la loi m’autorise à condamner à seulement 15 ans d’emprisonnement un homme de 39 ans qui viole un enfant de 10 ans ? », s’interroge-t-il.

Ainsi, pense-t-il, avec des lois adaptées, les citoyens pourraient reprendre confiance en la justice au lieu statuer eux-mêmes sur le sort des suspects, parfois jusqu’à les tuer.

En outre, la situation géographique de Thomassique, située à la frontière avec la République dominicaine, constitue aussi, selon les participants, un facteur d’insécurité, avec l’existence de trafics transfrontaliers d’êtres humains et de biens.

Ainsi, les participants proposent le renforcement des moyens et l’augmentation de l’effectif de la police haïtienne, notamment au niveau des villes frontalières comme Thomassique.  A leur demande, les autorités se sont aussi engagées à soutenir et intensifier les activités de sensibilisation, notamment à travers la diffusion d’émissions et de spots radiophoniques.

De son côté, le commissaire du gouvernement promet d’intervenir sur les allégations de corruption  portées contre certains juges de paix pour décourager cette pratique.

Dans le cadre d’une vaste campagne nationale contre le lynchage, la Section des Droits de l’homme/Bureau du Haut-commissariat aux droits de l’homme en Haïti et le bureau de la Communication et de l’information publique de la MINUSTAH organisent, depuis l’année dernière, une série de fora afin de sensibiliser autorités et citoyens sur cette pratique néfaste au bon fonctionnement de la justice.

 

Marie Yolette B. Daniel