Une alternative pour faire échec à la violence

Photo :Eleonore Coyette

23 juil 2015

Une alternative pour faire échec à la violence

La salle du ‘’Point Bar Restaurant’’, à moitié sombre, est pleine à craquer. Une lumière tamisée laisse entrevoir un public compact, étonnamment diversifié par l’âge, le milieu social et le sexe. Le spectacle ‘’Vwa Ayiti pou lapè’’ affiché pour 19 heures, avait déjà fait salle comble une demi-heure avant l’arrivée des artistes. Impatients de voir démarrer le spectacle tant attendu, mélomanes et aventuriers avaient chacun leurs objectifs. Certains attirés par la thématique « La Paix », d’autres anxieux de voir de près ou se faire photographier avec leurs idoles. « Béni yo, papa », (Bénissez-les, Père). C’est la voix d’Émeline Michel qui vient rompre un moment de silence, pendant lequel les regards scrutaient les moindres mouvements. «Jou MINUSTAH kite peyi a map pote dèy »… (Le jour où la MINUSTAH quitte le pays, je porterai le deuil », lance Nathalie, assise en première rangée, se mettant debout, à l’instar du grand public, pour accueillir la vedette haïtienne brillant de mille feux dans sa robe de soleil. « Tu ne seras pas la seule à porter le noir, ma chère », répondent en chœur des copines et voisines de siège. Sans interrompre leur tintamarre d’ovation, Nathalie et ses campagnes croyaient rêver. ‘’Oh, mon Dieu, mon Dieu’’, s’exclamaient-elles. Elles n’en revenaient pas qu’un spectacle de cette envergure, réunissant le trio de renommée internationale composée en plus de Beethova Obas et James Germain, puisse être gratuit. C’était le premier coup de charme ! Entre ces artistes et le public hinchois conquis à l’avance, le courant passait bien. Une émotion partagée et de plus en plus croissante avait envahi la foule et les artistes. C’était avant tout, le choc d’un amour partagé. Déjà, sur la route qui mène à Hinche, en empruntant la courbe de Péligre qui offre une magnifique vue du beau lac artificiel, Émeline Michel, la diva de la musique haïtienne s’est exclamée: « Voici l’Haïti que l’on devrait montrer à la télévision » ! Avant de commencer à chanter, elle rappelle aux hinchois combien le département du centre est beau et plein de richesses inexploitées. Elle a invité le public à apprécier, à sa juste valeur, le cadeau de la vie saine à l’origine, sans violence. « Commençons par dire merci pour cette vie », furent les mots d’introduction de sa deuxième prestation.  

Photo : Elionore Coyette - Photo :Eleonore Coyette

 

  Un évènement sans précédent ! Un concert pour la paix, toute la ville en parle : jeunes, vieux, hommes ou femmes, toutes classes sociales et croyances religieuses confondues. La ville est en éveil. Personne ne souhaite manquer cet évènement. C’est d’ailleurs le cas de Bernadette Jean-Pierre, une femme cadre de la ville. Elle n’a pas hésité à partager son opinion d’ailleurs « Si les trois ténors de la musique haïtienne ont choisi ensembles, d’offrir  un spectacle pour la paix, c’est qu’ils ont, manifestement, un message important à passer!  On ne manque pas de telles occasions », indique-t-elle, sans se rendre compte qu’elle répétait à haute voix ce que des centaines d’autres participants pensaient tout bas. A l’instar de Bernadette, Chantale Auguste est d’avis que le thème traité et restitué au cours du concert du 17 mai 2015 à Hinche représente un enjeu fondamental pour le département du centre, et pourquoi pas pour Haïti. « La paix, tout le monde en rêve ! Même les hommes les plus puissants font la guerre au nom de la paix », soupire-t-elle. Se disant, elle s’était mise debout pour imiter Émeline Michel qui a enflammé le public par l’exécution de ses déhanchements à moitié-exécutés qui accompagnent l’interprétation de sa fameuse chanson A K I K O, l’une de ses œuvres engagées qui lui ont values son respect sur le tableau musical national et international. Ce concert qui pousse à la réflexion! Et, là où d’aucuns se contentent de reprendre le chœur avec les artistes, l’idée central de cette initiative grandiose convie d’autres à de profondes réflexions. C’est le cas du jeune Évens Joachim Fils, résident de Village Quisquéya. À chaque fois que les mots réconciliation, paix, tranquillité sont répétés, il revoit la situation de ce quartier populaire de Hinche, réputé et connu pour son taux élevé de violence communautaire. On dirait que chaque prestation le touche personnellement. Comme dans un monologue, il estime que « cette trêve est essentielle pour le développement du Plateau Central, si souvent le théâtre de conflits sans précèdent, surtout en période électorale ». Le futur agronome espère que chaque haïtien va jouer sa partition comme l’a fait la MINUSTAH aujourd’hui à travers cette manifestation culturelle pour la paix. En regardant cette foule assoiffée de loisirs s’enivrer de plaisirs sains, James Germain et Beethova Obas n’ont pu faire autrement que de suivre le courant. Un courant d’émotions pluridimensionnelles dont l’épicentre est « la paix ». Cet apaisement qui inspire tout musicien et/ ou compositeur traditionnel engagé à produire des œuvres musicales de qualité pour prêcher la cohésion et la réconciliation sociale. Aucun chanteur ne rêverait mieux que de voir son public entonner toutes ses chansons avec lui au cours d’un concert. Cependant, pour les artistes de la paix, c’est l’appropriation du message qui était le plus important. Cette aspiration relève de deux aspects de leur passage dans le Plateau Central : la prédisposition et l’enthousiasme des jeunes artistes Hinchois. « Arrivés à Hinche, dans la salle réservée à l’atelier avec les jeunes, nous avons été agréablement surpris. Chaque participant était muni d’un texte, d’une mélodie traitant de la paix », rapporte Beethova Obas à un journaliste local. Après lui avoir présenté la caravane « Vwa Ayiti pou Lapè », Beethova confie au reporteur que sa plus grande joie a été la motivation des jeunes. « Il y avait plus d’une dizaine d’instruments musicaux dont cinq guitares », se souvient James Germain. Pour Émeline c’était le fait que les jeunes avaient déjà constitué d’eux-mêmes de petits groupes entonnant en chœur leurs compositions pour la paix. « C’était impressionnant et encourageant à la fois », dit-elle avec un large sourire de satisfaction. Ensuite, l’accueil sans précédent du public à la thématique. Un concert qui fait écho! Comme dans les 9 autres villes du pays, la caravane Vwa Ayiti pou lapè, poursuivait un double objectif dont le principal était d’encourager la création musicale autour du thème de la paix. En ce sens, le trio a animé un atelier de travail au profit d’une vingtaine de jeunes artistes de la ville.  

  En compagnie de ces jeunes, les invités ont également offert à la population un spectacle inoubliable pour la paix. Pour le Centre, vingt-trois jeunes musiciens, compositeurs, chanteurs issus d’univers différents ont formé une chorale locale pour la paix. «Lapè, Men lapli Lapè Rive » (La paix, voici s’annonce une pluie de paix), est le refrain qu’ils ont scandé. Sous le leadership du trio, ils ont d’abord eu droit, à des tests vocaux. En deux jours, ils ont été amenés à tour de rôle, à décrire et à partager leur vision d’une vie où la violence serait éconduite en faveur de la « paix ». Avec une énergie renouvelée, ils ont conçu un texte dont chaque strophe est une vibrante invitation à la formation d’un chantier pour la construction d’un pays sans violence. Mélodie entrainante, texte profond, « Men lapli lapé rive » a été un coup de cœur à la fois pour les artistes de la paix, mais aussi pour le public. Cette composition exprime toute la fraicheur et la richesse de la pensée des jeunes qui ont rarement l’occasion d’extérioriser leurs sentiments. Pourtant, ils ont la tête pleine d’idées inexploitées. Et surtout, ils sont bourrés de talents… « Ayisyen tout kote, annou rete kole. Limen boukan, pou yon seremoni lanmou. Frape tanbou, woule Bagèt fratènite. Lè sa n ap viv san kè sote… », Chantonne Luidgi Xavier, le plus jeune du groupe, lors de leur prestation au concert du 17 Mai 2015. Chaudement acclamé, la prestation des jeunes a été une forme d’invitation, un appel à la culture de la paix, lancé avec une émouvante émotion à la population hinchoise.  

Photo : Elionore Coyette - Photo :Eleonore Coyette

 

  « Le message est délivré, agréablement délivré », affirme Woualy Rodrigue, un éducateur, avec une note d’émotion dans la voix. Pour lui, l’énergie avec laquelle les jeunes ont acclamé la paix démontre qu’il y a une alternative à la tendance explosive qui pèse sur leurs épaules. Riche en métaphores et en expressions imagées du créole haïtien, ce texte a une force lyrique hors du commun. Il invite tous les haïtiens où qu’ils soient à rester unis, à prendre part à cette cérémonie d’amour, célébrée au son du tambour et autres instruments traditionnels, symbole de fraternité et d’un avenir serin.  

  Toute la composition est un appel à la culture de la tolérance, au respect mutuel qui ferait échec à la violence. C’est aussi le souhait que tous les haïtiens suivent la même voie, pour reconstruire cette Haïti tant rêvée. Un paradis où l’on pense et agit à l’unisson pour le bien-être de la nation. Et les résidents de cette nouvelle Haïti feraient de la paix une mission, fredonnent à tour de rôle les leads vocaux de cette chorale de fortune. A l’instar de Woualy, beaucoup craignent qu’une frustration trop longtemps subie ne finisse par provoquer une explosion au sein de la population. Un sentiment d’insécurité hante incessamment les membres de la communauté. C’est comme si l’espace s’était transformé en un terrain miné. « Le chômage, la faim, la cherté de la vie, les conflits politiques… toute cette insatisfaction donne le sentiment qu’à tout moment, tout peut exploser », regrette, Arnel Brun, ingénieur. Et, cela dure depuis un moment déjà. À son avis, bon nombre d’haïtiens vivent depuis une trentaine d’années, avec une certaine défiance réciproque, résultat de leurs frustrations non extériorisées. Dans ces circonstances, un dynamisme en faveur de la paix attire l’attention et suscite de l’intérêt; la paix étant indispensable au développement socioéconomique de toute société... La tournée « Vwa Ayiti pou Lapé », a en effet, réuni à Hinche, un public très diversifié. Mélophiles ou non, chacun avait son centre d’intérêt. Certains avaient jugé la gratuité d’un concert aussi prestigieux « d’initiative osée ». Ils ont été agréablement surpris… « Avec une foule pareille, pas une bouteille brisée… », A constaté Jocelyn Constant, un notable accompagné de son épouse et son fils. Le visage animé d’un sourire radieux, son épouse, Marijo estime que « le succès de cette initiative  osée, comme a dit son mari, prouve que la paix est possible ». Tout n’est pas perdu, soupire-t-elle avec une lueur d’espoir dans la voix.   À la fin du spectacle, en quittant le centre culturel, jeunes et adultes avaient donné libre cours à leurs sentiments. « C’est la première fois à Hinche,  qu’un spectacle gratuit réunissant un public aussi varié se termine sans incident», constate Kimarah Jiha, une fane inconditionnelle d’Émeline Michel, venue de Port-au-Prince pour assister au concert. Quant à Guervens Brun et ses copains, c’est la prestation des jeunes qui les a impressionnés. C’est normal, ce sont des jeunes de 17 ans. « J’ai rêvé d’être sur la scène avec les autres. J’ai aussi mon mot à dire sur la paix », soupire un autre d’un air sérieux.  

  Pour le public, la réussite du concert, est l’évidence que les spectateurs n’ont pas seulement écouté, mais ont été aussi réceptifs au message véhiculé à travers cette grande manifestation culturelle. Rappelons que la tournée nationale Vwa Ayiti pou Lapè est une prolongation des activités de la campagne « Ann Chwazi Lapè » lancée par la MINUSTAH depuis 2013. Rédaction : Marie Yolette Daniel  

   

Photo : Elionore Coyette - Photo :Eleonore Coyette

 

   

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