Élections et genre : le silence rompu

22 oct 2015

Élections et genre : le silence rompu

 Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

 

Port-auPrince, 21 Octobre 2015 - La femme, pour participer activement aux affaires politiques haïtiennes, a besoin de « briser un nombre important de barrières liées directement à la gent féminine», estime Evelyne Isaac Jacques, militante féministe de 48 ans, qui a pris la parole lors du forum genre, tenu à Hinche, le lundi 12 Octobre dernier. Prononcés d’un ton assuré et convaincant, les propos de Mme Jacques ont été suivis de hochements d’approbation et des applaudissements de l’assistance, Composée majoritairement de femmes. Membre de l’Association des Femmes Volontaires pour l’Autopromotion Rurale d’Haïti (AFVAUPRUH), Elle dit s’exprimer au nom de centaines de sans voix, victimes de discrimination sexiste. « Des femmes qui sont courbées sous des jougs accablants et n’osent jamais en parler », souligne-t-elle d’un air triste et accablé. Pour appuyer ses dires , cette mère de famille a évoqué ce qu’elle appelle des « obstacles subtils » tels les multiples responsabilités domestiques non partagées, le manque de formation et d’information, des contraintes structurelles et sociales et surtout, la dépendance économique. Des murs qui, selon elle, créent un fossé entre la femme et le monde de la politique réelle… D’ailleurs elle n’est pas la seule à voir la situation de cet œil-là…  

 

 

Ces femmes, issues de structures diverses de la vie sociale, se sont exprimées dans le cadre de fora électoraux dont l’objectif est de sensibiliser les femmes leader sur la nécessité de s’impliquer davantage dans la vie politique, non seulement en tant que candidates, mais aussi comme électrices. Dans cette optique, Marie Voudnie RIVETTE, conseillère à la protection du Genre pour l’ONG internationale OXFAM, a regroupé, dans son intervention, en deux catégories les obstacles auxquels se heurtent les candidates à des postes électifs. Épreuves sur lesquels les femmes n’ont pas vraiment de contrôle…  

 

 

Poser et analyser les problèmes liés à la participation effective des femmes, proposer des pistes de solutions, ont fait partie des résultats recherchés par ces colloques organisés dans les 10 départements géographiques du pays, sous le leadership du Conseil Électoral Provisoire (CEP), et appuyés par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH). En effet, à l’instar de Marie Venette Raphael, plus d’une participante estime que ces espaces de débats ne seront pas sans effets. Cette « initiative offre une opportunité aux femmes d’adresser et de débattre avec les autorités concernées des vrais défis qui freinent leur accession dans les sphères décisionnelles, en particulier aux postes électifs »… Pas agréables à entendre, mais c’est la réalité, souligne-elle  

 

 

Pourtant, « la participation active des femmes aux affaires étatiques est décisive pour parvenir à l’égalité, au développement durable, à la paix et à la démocratie», estime Larosaire Garçon Germain, Vice-délégué de l’arrondissement de Hinche et également professeur de carrière. Se référant à la Résolution 66/130 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2011, sur la participation des femmes à la vie politique, elle a rappelé que cette idéologie fait partie d’une mouvance mondiale. Et, pour qu’Haïti puisse intégrer cette mouvance, l’une des conditions à remplir demeure la réduction de son niveau de pauvreté, croit-elle. Une exigence que le pays ne peut satisfaire s’il continue à écarter les femmes de sa gouvernance, souligne cette éducatrice de profession, soutenant que « la femme haïtienne est synonyme de richesse » La représentante du Gouvernement a fait référence à la contribution des femmes dans le développement socio-économique du pays, malgré sa faible représentation dans les instances de décisions. Outre les entraves sexistes citées plus haut auxquelles se heurtent les femmes, d’autres aléas plus généralisés bloquent leur enthousiasme à participer à part entière dans les activités politiques, incluant leur désir de briguer des postes électifs, constatent de nombreuses participantes. Il s’agit notamment de la politique de dénigrement des femmes, et surtout le risque de corruption qui tend à entacher les élections dans un pays comme Haïti. « Le monnayage des votes, la mentalité de gagner à tout prix incluant le saccage des centres de vote, sont entre autres, des handicaps qui tuent nos rêves », se désole Délicieuse Paul, qui a encore en mémoire certains actes de brigandages dont elle a été témoin dans le Plateau central lors des élections du 09 Août dernier. « Cette fois-ci, nous ne nous contentons pas de demander, nous exigeons que le CEP prenne en compte nos griefs et applique des mesures correctives », a martelé Mme Raphael. Explicitement, cette dernière réclame la garantie de sécurité et la neutralité des institutions devant garantir la tenue d’élections équitables, notamment le Conseil Électoral Provisoire (CEP), la justice, la Police Nationale d’Haïti (PNH), les organes d’observations nationaux et internationaux, etc. Les débats ont été, généralement très animés et même très houleux par moment. Cependant, tenant compte des résolutions et recommandations qui en ont découlé, « l’initiative en valait la peine », a conclu Jésula Mézard, Coordonnatrice Départementale du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF).  

 

 Photo : Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

 

 Rédaction : Marie Yolette B. DANIEL