Au-delà des montagnes, encore des montagnes : 10 ans d’engagement dans la réduction de la violence communautaire
Photo : Igor Rugwiza - UN/MINUSTAH
« Je ne me savais pas actrice ! J’ai été étonnée de me découvrir dans le film » lance Nadège Velte entre deux éclats de rire. Rencontrée en marge d’une projection, le 3 mars 2017 à la Fondation connaissance et liberté (FOKAL) dans le centre-ville de Port-au-Prince, Nadège Velte est l’une des protagonistes du documentaire « Au-delà des montagnes, encore des montagnes ». Dans ce film de 28 minutes produit pour Canal Plus, elle témoigne du quotidien des résidents de Morne l’Hôpital dans les hauteurs de Martissant, une banlieue populaire du sud de Port-au-Prince. La jeune femme dit espérer que sa participation dans ce film poussera ses compatriotes à la solidarité. « Le film décrit la situation précaire et criante de bon nombre de familles haïtiennes », déplore Nadège. « Il est grand temps pour nous autres haïtiens d’en finir avec l’hypocrisie et nous atteler à la tâche pour développer notre pays ».
« Au-delà des montagnes… » est un documentaire réalisé par l’acteur français Lambert Wilson en mars 2014, tombé amoureux d’Haïti lors de sa première visite dans le pays un an auparavant, à l’invitation de la MINUSTAH. Il met en lumière un projet de création d’emploi via la protection de l’environnement – et, par extension, de prévention de la violence dans les quartiers vulnérables – du programme de Réduction de la Violence Communautaire (RVC) de la Mission onusienne dans les ravines au-dessus de Port-au-Prince.
70 millions de dollars investis en 10 ans pour 4 millions d’habitants des quartiers chauds
Organisée par la MINUSTAH en partenariat avec l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la science et la culture (UNESCO), cette projection visait à marquer les dix ans d’existence du programme RVC. Succédant à son programme de démobilisation des groupes armés en 2006, cette initiative de la MINUSTAH « a radicalement changé la manière – plus traditionnelle – de concevoir le maintien de la paix », explique la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, en ouverture de l’évènement. « La RVC », poursuit Sandra Honoré, « est devenue, en dix ans, une doctrine à part entière – et purement civile - qui privilégie la prévention et la résolution des conflits à travers les opportunités d’emploi et la médiation communautaire ». Avec 70 millions de dollars investis dans 450 projets sur 10 ans par la Mission, 4 millions de personnes des quartiers dits ‘chauds’ de Port-au-Prince, Gonaïves et Cap Haïtien ont pu s’éloigner de l’influence des gangs grâce à la formation professionnelle, l’emploi, le soutien psycho-social, l’assistance légale ou la prise en charge des violences basées sur le genre. Aux yeux du Département des Opérations de maintien de la paix à New York, qui gère les Missions des Nations Unies sur le terrain, le programme a eu un tel succès que « l’expérience haïtienne a, récemment, semé des germes de paix dans les bidonvilles de Kinshasa, en République Démocratique du Congo, ou de Bangui, en République Centrafricaine », ou des programmes similaires ont vu le jour, explique Mme Honoré.
« N’était-ce ce travail, je serais peut-être en ce moment en prison ou au cimetière »
Sirilien Gilles, déporté des États-Unis depuis 2009, intervient aussi dans le film. Il a été un bénéficiaire direct du projet financé par la MINUSTAH en 2015 à travers la RVC. Pour ce père de trois enfants, le projet était très utile. « N’était-ce ce travail, je serais peut-être en ce moment en prison ou au cimetière », lâche-t-il. Il est convaincu que c’est grâce à l’encadrement et à l’argent reçu en contrepartie de son travail de construction de murs en pierre sèche pour lutter contre l’érosion qu’il a pu s’en sortir. De surcroit, le projet lui a permis de rencontrer celle qui est maintenant sa femme. Il n’est pas le seul à reconnaitre l’importance du projet. Registre Luckner, coordonnateur général du Foyer des jeunes de Morne l’Hôpital (FJMH), organisation qui a mis en œuvre le projet documenté dans le film, plaide pour la reprise des activités à Morne l’Hôpital. « Ce projet est la seule source de revenus de la zone et est très bénéfique à l’environnement », soutient-il. « Non seulement il protège la population avoisinante et les résidents en contrebas des éboulements et glissements de terrain qui pourraient subvenir après la pluie, mais il fournit aussi des fruits et de l’ombre aux habitants des alentours grâce aux arbres fruitiers et au vétiver qui y ont été plantés », énumère l’homme considéré comme le chef de file de la zone.
Dans un message vidéo enregistré à Paris et projeté avant son film, Lambert Wilson décrit son affinité avec Haïti et les Haïtiens. « J’ai la conviction que la réalité actuelle en Haïti, des difficultés sociales et la richesse du potentiel [du pays] ont besoin d’être constamment soulignés », témoigne l’interprète du Mérovingien dans « The Matrix ». En effet, que ce soit sur les plateaux de télévision ou le tapis rouge du prestigieux Festival international de cinéma de Cannes que l’acteur a présenté à deux reprises, Wilson ne manque jamais une occasion de parler d’Haïti, le pays de son filleul, Félix, qui fut adopté par des amis français. Ainsi, « Au-delà des montagnes… » est une histoire personnelle où s’entrecroisent les destins de ceux, haïtiens ou étrangers, qui souhaitent offrir au monde une autre image d’Haïti.
En deuxième partie de la soirée, à laquelle ont assisté plus de 120 personnes dont la Ministre à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme, Marie Denise Claude, l’écrivain Frankétienne, des représentants de la société civile, partenaires de de la RVC et de l’UNESCO, le long métrage « L’Odyssée » a été présenté pour la première fois dans la région Amériques–Caraïbes. Dans ce film du réalisateur français Jérôme Salle, Lambert Wilson y incarne le Commandant Jacques-Yves Cousteau, figure emblématique de la lutte pour la protection des océans et la préservation de l’humanité et – par extension – de la paix.
Rédaction : Taïna Noster