Boss Fabiola : maçon au féminin

24 juil 2013

Boss Fabiola : maçon au féminin

Sur le chantier comme au foyer, Boss* Fabiola concilie un métier traditionnellement réservé aux hommes avec son rôle de mère célibataire. Son portrait.

Chaussée de bottes, en jean, gants, et casquette, Fabiola Blanc suscite les regards des curieux étonnés de voir une femme faire un travail traditionnellement réservé aux hommes. Elle est la seule femme d’un groupe de maçons travaillant à l’agrandissement d’une auberge situé à Cazeau, à quelques 8 kilomètres de Port-au-Prince.

Adoum Goulgué – UN/MINUSTAH Adoum Goulgué – UN/MINUSTAH

Son groupe de travail a pour tâche de construire le mur de clôture du chantier. Equipés d’une truelle et d’un niveau, Fabiola et un autre maçon montent minutieusement les parpaings l’un après l’autre sur un échafaudage, tandis qu’un autre brasse le mortier sous le regard du superviseur.

« Fabiola est une femme hors pair, car elle est à l’aise tant dans la ferronnerie que dans le mortier », fait savoir un de ses coéquipiers. Pour le directeur de l’entreprise qui l’emploie, Pasteur Ernso Jean Louis, « Fabiola vaut à elle seule deux hommes ».

Agée de 25 ans et mère célibataire d’un fils de 6 ans, Fabiola vient de suivre un an de formation et de stages en maçonnerie dans le cadre d’un projet de placement des jeunes des quartiers sensibles de la capitale. Le projet est mené par une organisation locale, HPCD (Haitian Partners for Christian Development), de concert avec la Section de la Réduction de la Violence Communautaire de la MINUSTAH (RVC). Une vocation qui a commencé tôt. « Dès mon enfance, je jouais à faire du ‘mortier’ avec de la poussière, de l’eau et des pierres », rit Fabiola, un niveau à la main.

Une détermination qui est peut-être née des épreuves qu’elle a traversées. Forcée de quitter Gonaïves secouée par des troubles politiques en 2004, Fabiola a arrêté ses études secondaires en classe de troisième, et tombe ensuite enceinte d’un homme qui la quitte à seulement deux mois de grossesse. « J’ai travaillé dur pour élever mon garçon, avant je faisais du petit commerce pour gagner un peu d’argent afin de subvenir à ses besoins », raconte-t-elle, toujours souriante.

Adoum Goulgué – UN/MINUSTAH Adoum Goulgué – UN/MINUSTAH

Afin de parcourir les 12 km entre sa maison de Carrefour, au sud de la ville, et le chantier, Fabiola doit se lever de bonne heure. « Du lundi au samedi, je me réveille à 4h du matin pour me préparer et prendre trois tap-tap différents [mini-bus collectifs, NDLR] pour atteindre le chantier avant 7 heures », explique-t-elle.

Les ‘boss’ gagnent entre 10 000 et 20 000 gourdes (230 à 465 dollars US) par mois selon leur niveau et suivant leur expérience, fait savoir le directeur de l’entreprise. Tous les ouvriers bénéficient d’une assurance médicale, d’un repas et d’une heure de repos par jour.

« Parfois je rentre chez moi à 21 heures à cause des embouteillages quotidiens dans les rues de la capitale », soupire-t-elle. Comme elle n’est pas à la maison pendant la journée, Fabiola confie la garde de son fils à sa sœur qui habite dans un autre quartier à Carrefour.

A la maison, Fabiola troque le casque et la truelle contre le tablier. Elle fait la cuisine, le ménage et prend soin de son fils Fabien.

Le 5 juillet dernier, en guise de reconnaissance pour son engagement, Fabiola a reçu un diplôme de la RVC après avoir suivi 1 an de stages en maçonnerie. Désormais employée à temps plein, Fabiola jubile : « Je suis maintenant une femme accomplie et indépendante et une professionnelle de la construction prête à travailler dans n’importe quel chantier », s’exclame-t-elle, montrant son diplôme.

Elle voudrait que d’autres jeunes filles lui emboitent le pas, surtout dans les professions traditionnellement réservées aux hommes car, dit-elle, « les femmes compétentes ont beaucoup plus de chance d’être embauchées ».

Jonas Laurince

*Boss ou Bòs est un thème employé en Haïti pour qualifier les professions libérales telles les charpentiers, maçons, cordonniers, etc.