Ces carrefours en Haïti… où l’argent circule librement

 

19 fév 2016

Ces carrefours en Haïti… où l’argent circule librement

 

Photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

Photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

“C’est pour moi un point de rendez-vous. Je viens ici chaque jour pour y écouler mes produits”, confie Maricia, mère de 3 enfants. Depuis 15 ans, elle laisse  son domicile à partir de 6 heures pour se rendre au carrefour « Gerald Bataille », à Delmas, une commune de Port-au-Prince. Là, elle vend des sandales et des habits pour femmes. Cette  activité lui permet de subvenir seule aux besoins de ses 2 garçons et sa  fille, tous  trois  encore en classes  primaires.

 

 

Ce carrefour, vraisemblablement l’un des plus grands et plus actifs de la capitale, constitue un véritable centre commercial « informel ». Chacun y fait son lieu de travail pour le gagne-pain quotidien. Pas d’enseignes, pas d’étiquettes d’identification, pas de places réservées ou acquises de droit, pourtant chaque détaillant ou vendeur d’un service quelconque, à l’instar de Maricia se retrouve régulièrement au même endroit, dans le même décor.

Par exemple, Mésidor y vend des bâtons de canne-à-sucre, Jean Pierre, cireur de bottes n’est pas loin,  Amberson vendeur de borlette ou Lotto se tient en face, assis sur une table avec ses fiches en main ; plus bas, à l’angle, stationnent les motos-taxis et les Tap-Taps (moyens de transport populaire avec des carrosseries généralement faites en bois ), sur les séparateurs, en plein milieu de la chaussée, des bidons remplis d’essence sont en vente.

Soulignons que Gerald Bataille n’est qu’un exemple de « carrefour commercial » en Haïti. Presqu’à chaque trottoir vide, le même scenario se produit. On y trouve un réparateur de pneus, des vêtements, fruits et légumes, fournitures classiques et de bureau, chaussures, produits alimentaires, articles de toilette, une marchande de nourriture précuite, des habits accrochés au mur d’une maison, des chaussures étalées çà et là...la route de Delmas a un visage de marché public. Depuis Delmas 40-B, le marché longe les trottoirs jusqu'au carrefour de la route de l'Aéroport.

 

photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

Photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

À Carrefour Trois Mains, près du Parc industriel SONAPI, au Boulevard Toussaint Louverture, à moins d’un kilomètre de l’Aéroport international de Port-au-Prince, un nouveau « marché » du même  genre tente de s’imposer. Malgré des interventions plutôt sporadiques  des autorités municipales pour décourager les détaillants, le bazar improvisé prend chaque jour de l’ampleur.

Ils viennent des quatre coins de la zone métropolitaine en raison « du sentiment de sécurité que la commune offre  et aussi de sa position stratégique pour le commerce », selon un agent de contrôle de la Mairie de Delmas.   

Garantir la sécurité, favoriser la circulation et promouvoir la salubrité de la commune, font partie de  la mission  que s’est fixée  la Mairie de Delmas.

« La chaussée aux véhicules, le trottoir aux piétons et les marchés aux marchands», est  d’ailleurs le slogan  des autorités municipales de Delmas depuis bien avant le séisme.

 

Photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

Photo: Anderson Laforet - UN/MINUSTAH

La présence de ces petits marchands sur les trottoirs de « trois mains » ou de « Gérald Bataille » est caractérisée par les conditions socio-économiques plutôt précaires de ces personnes. « C’est le manque d’emploi et le non-encadrement de la part de l’État haïtien qui alimentent cet état de fait et compliquent la situation », estime  l’économiste Patrick Junior Sylvain. Pourtant, des  sommes importantes sont brassées  tous les jours dans ces endroits. Par exemple, Roger est cambiste. Ses activités, à Gérald Bataille,  consistent à acheter des  devises étrangères qu’il revend selon les taux fixés par les autorités monétaires haïtiennes ou quelques fois aux plus  offrants. De concert avec des amis, il a investi  des dizaines de milliers de gourdes. Et, ceci sans laisser le circuit informel ; ils n’ont donc de compte à rendre à  personne sinon qu’à eux-mêmes.

L’insécurité, le pire ennemi

L’insécurité est l’ennemi acharné de ces hommes et femmes qui, habituellement doivent quitter leurs demeures  parfois à  l’aube pour vaquer à leurs activités. Louisiane (un nom d’emprunt), vendeuse de figues banane et d’œufs bouillis, a été agressée à deux reprises par des individus qu’elle ne peut identifier. Saintfort vend des minutes de téléphonie mobile. Il est lui-même un « client » pour les bandits qui le rançonnent assez souvent et qui font de Gerald Bataille leur repère. Tout ceci malgré la présence d’un container servant de sous-commissariat à  la Police nationale d’Haïti, (PNH), placé au coin Est de ce carrefour. Gary DESROSIERS, Porte-parole adjoint de la Police Nationale d’Haïti (PNH), évoque un  manque d’effectif policier pour une telle agglomération.

 

 

Autre souci, les accidents de la circulation très fréquents. Les piétons sont trop nombreux à laisser le trottoir, occupé par les marchands, pour marcher sur la chaussée. On les voit se faufiler entres voitures et motocyclettes avec parfois un simple geste de la main comme pour avertir les conducteurs, non! Imposer plutôt leur passage. Des gestes ou agissements  qui parfois ralentissent la circulation et créent de l’embouteillage. Ironiquement, pour s’en sortir, les automobilistes choisissent le trottoir comme alternative et souvent, ce sont ces commerçants qui payent les frais. « Rien que pour le mois de décembre 2015, il y a eu trois accidents graves ici à Gerald Bataille », témoigne Maricia dont  un des cousins a été victime.  

Malgré la diligence des agents municipaux  de Delmas pour chasser ces  marchands sur le trottoir,  ces derniers reviennent toujours au même endroit et souvent en plus grand nombre. Pour le professeur Sylvain, l’une des façons de freiner cette « hémorragie socio-économique » seraient d’encadrer ces gens en leur offrant des possibilités de crédit qui leur permettrait d’élargir leurs affaires. L’État devrait également, selon lui, «exercer son pouvoir de contrôle sur tous ces marchands et les  produits- en grande partie importés- qu’ils offrent».

S’approvisionner localement n’est pas facile en Haïti, reconnait le Bureau du Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD, à travers son site internet. S’il existe beaucoup de marchands et de producteurs, ceux-ci sont souvent mal connectés entre eux et répondent difficilement aux exigences soit des entrepreneurs ou des clients qui souhaitent développer leurs activités ou se procurer des produits. Aussi, l’agence Onusienne s’est fixé comme objectifs de mettre en réseau les fournisseurs et leurs clients, de renforcer l’approvisionnement local, stimuler l’économie et former les entrepreneurs de demain. Ce projet a été lancé  en  2013, dans le cadre de son programme de développement des fournisseurs.

 

Rédaction : Anderson LAFORET