Cité Soleil : Livres contre armes

25 avr 2017

Cité Soleil : Livres contre armes

Photo: Fabienne Viltus - UN/MINUSTAH

Photo: Fabienne Viltus - UN/MINUSTAH

 

« Si à une époque les jeunes de Cité Soleil avaient des armes en main pour détruire des vies, aujourd’hui ils veulent les troquer contre des livres pour construire et enrichir leurs méninges », déclare fièrement Samuel Cadet, un jeune leader communautaire de Cité Soleil. Cette réflexion fait référence au projet d’aménagement d’une bibliothèque communautaire à Cité Soleil, dont Samuel est l’un des promoteurs.

La trentaine environ, le technicien agronome Samuel Cadet, supporteur de l'association Flamme Art Club (FAC/Haïti), un club littéraire constitué d’un groupe de jeunes étudiants de Cité Soleil.  

 

En effet, (FAC/Haïti) veut doter le plus grand bidonville du pays d’un espace de recherche qui profitera, d’une part, à la majorité des jeunes qui auront accès à un centre de recherche pour se former, se construire et changer ainsi l’image de la zone et, d’autre part, permettre aussi aux écoliers de la cité qui sont en manque de manuels scolaires de pouvoir faire avec plus de facilité leurs devoirs. D’où l’idée d’une bibliothèque communautaire, voté unanimement par les membres de FAC/Haïti. Cependant, avoir le projet est une chose, mais le réaliser en est une toute autre. Comment y arriver ?

 

Pour passer du rêve à la réalité, les promoteurs de ce projet longuement réfléchi lancent, le 30 Janvier 2017, une grande campagne autour. Ils étaient environ une douzaine ce jour-là à cette rencontre. Sur une base d’entente, ils décident d’adopter une approche participative au lieu de déposer un document de projet pour avoir le financement d’une tierce. L’idéal, c’est de faire participer toutes les couches sociales de la communauté.

 

« Si on veut faire quelques choses pour Cité Soleil, cela doit d’abord commencer avec et par les habitants de la Cité », affirme Robillard Louineau, l’un des responsable de « Konbit Solèy Leve », une autre association de jeunes de la Cité qui apporte son plein support à la mise sur pied de cette bibliothèque. 

 

Les jeunes initiateurs de cet ambitieux programme ont déployé plusieurs stratégies autour en vue d’atteindre leur objectif en passant par : des spots publicitaires sur les médias supporteurs, les réseaux sociaux, la production et distribution de bracelets, du porte à porte, visite dans les écoles, les églises et les marchés publics, pour ne citer que cela. Leur slogan: « Un livre, 2 livre, 3 livres, 4 livres … 5 gourdes, 10 gourdes, 1000 gourdes an nou fè konbit » (Un livre, 2 livres … mettons-nous ensemble). 

 

 

 

En espèce ou en nature, ils reçoivent tous les jours de tout part, des dons (livres ou argent) et font le décompte tous les dimanches, en affichant les résultats sur les réseaux sociaux,  leurs principaux outils de promotion. En douze semaines déjà, soit trois mois environ, ils ont recueilli 2 113 livres et 712 279.00 gourdes (10 175$USD), venant de 2 103 donateurs (décompte du 23 Avril 2017). Pour sa part, le staff de la mairie de Cité Soleil a offert 16 centièmes de terre pour l’implémentation du projet.

 

Toutefois, tous ceux et toutes celles qui souhaitent donner une contribution à ce programme, doivent se soumettre aux principes de ces initiateurs, en vue de garantir la transparence qui est leur maitre mot. 

 

 

Satisfaction et engouement pour faire les dons

 

« Je me sens toute fière de contribuer à un projet pareil au sein de Cité Soleil », déclare joyeusement Pierre Louis Dieula, une jeune pharmacienne du quartier dénommé Linteau 1. Dieula a fait des études en laboratoire médical et lorsqu’elle devait faire ses devoirs, elle était obligée d’aller très loin de sa communauté pour trouver la documentation. Elle est fière de contribuer pour doter sa zone d’un outil si important à la formation des jeunes. « Ma plus grande fierté est de poser ma pierre dans ce projet qui n’appartient ni à moi, ni à mon voisin, ni à l’autre mais à nous tous, pour nos enfants », dit-elle toute contente de pouvoir coopérer avec des livres et son argent.

 

D’un autre côté, Benson Joseph qui habite à Soleil 18, rêve déjà de donner de meilleurs résultats à son université grâce à ce projet. Le jeune étudiant au niveau 2 en science de l’éducation, voit en ce programme un sauveur pour lui et ses autres pairs dans la Cité.  « On avait soif d’un tel projet, moi particulièrement, ma faculté se trouve jusqu’à l’Avenue Christophe au centre-ville de Port-au-Prince [5 kilomètres]. Je paie tous les jours plus de 40 gourdes de tap-tap pour me rendre en classe » se plaint Benson qui habite cette communauté où la majorité des habitants vit avec moins de deux dollars américains par jour. « Quand mes amis m’ont parlé du projet, j’ai pas hésité à contribuer avec les seuls 50 gourdes que j’avais en poche ».

 

 

Un lieu exempt de toute jalousie entre quartier pour implanter la bibliothèque

 

Sur la place fierté au quartier de Brooklyn, situé sur le boulevard des américains en face de la base de l’Unité Départementale de Maintien d’Ordre de la police nationale (UDMO), communément appelé « Bo Konbit », c’est cette espace qui verra abriter ce grand projet qui anime toute la Cité depuis le début de l’année. Et ce choix n’est pas le fruit du hasard. « Nous avons voulu d’un endroit où tout le monde peut se rencontrer », raconte Samuel Cadet. 

 

En effet, suivant la séparation des quartiers, et selon la vieille habitude des groupes de gangs rivaux qui, certaines fois, empêche l’habitant du quartier de Bois neuf d’aller à Boston, ou encore celui de Wharf Jérémie de traverser à Belecou et vice versa pour tous les quartiers de Cité Soleil, le carrefour Brooklyn, là où se trouve la place fierté (non loin du centre commercial de la zone), est plus ou moins considéré comme étant le centre de Cité Soleil. « Donc, je pense que cet endroit ne va pas créer de jaloux, car cette bibliothèque doit desservir tous les 34 quartiers de la Cité », affirme Cadet.  

 

Cité Soleil appelé autrefois Cité Simone, a pris naissance sous la dictature de François Duvalier en 1963. Mais cette zone, limitrophe au wharf de Port-au-Prince, a connu de véritables troubles durant les 2 dernières décennies. Des périodes marquants comme les années 1990, 2004 à 2006, où la Police Nationale D’Haïti  (PNH) ne pouvait même pas pénétrer la banlieue, voir circuler pour sécuriser la population.

 

Cependant, depuis plusieurs mois, Il existe un grand calme dans le plus grand bidonville du pays,  grâce aux multiples efforts de la PNH avec le soutien de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Depuis, les jeunes ne cessent de s’organiser en des groupes comme « Konbit Solèy Leve », « FAC/Haïti » et « la Différence » pour ne citer que ceux-là, afin de réaliser des projets communautaires pour garder ce climat de paix et de stabilité tant souhaité par les riverains.

Aujourd’hui, ce projet de bibliothèque se répand dans presque toute la commune non seulement pour mettre des livres à la portée des enfants et des jeunes, mais aussi pour redonner confiance aux habitants et visiteurs, tout en combattant la délinquance juvénile pour ainsi projeter une meilleure image à l’extérieur.

 

 

Rédaction : Fabienne Viltus