Daniola : quand une fille décide de devenir agent de police
UN/MINUSTAH
« Devenir policière était un rêve. Maintenant, je suis au seuil de la réalisation de ce rêve. Je suis toute enthousiaste et excitée », dit Saintilma Daniola.
Les cheveux soigneusement noués, arborant sa tenue grise d’aspirante, cette jeune femme et ses camarades de la 26e promotion de la Police nationale d’Haïti, PNH, se tiennent au pied d’un mur sur lequel l’un d’eux s’affaire à dessiner. C’est le logo représentatif de la 26e promotion.
Depuis quelques jours, ses camarades et elle ont appris à faire la parade. La cérémonie de sortie est proche et l’aspirante de 23 ans a hâte de porter la chemise beige, le pantalon bleu marine et le képi noir, devant marquer son incorporation à la PNH.
Rien, apparemment, ne prédestinait Daniola au métier de policier. Toute frêle, elle est loin d’avoir ce physique imposant qu’on croit indispensable aux agents de l’ordre. Son atout est plutôt cette vision claire de ce qui l’anime: un ardent désir de servir et son indépendance financière.
« Au début c’était une affaire de boulot. Je cherchais quelque chose qui puisse me permettre de subvenir à mes besoins ; je cherchais aussi un emploi valable en quoi je pourrais me retrouver moi-même », clarifie-t-elle. Dans cette veine, elle se donne le temps de la réflexion. « Un jour, j’étais de passage à l’Académie et je me suis dite : pourquoi pas aller à la police ? »
Sa décision est prise mais tenue sécrète, de peur d’être maladroitement influencée par les autres. Elle constitue fébrilement le dossier, s’inscrit dans un centre d’enregistrement au Champ de Mars avant d’en informer ses parents qu’elle met devant le fait accompli.
« Lorsque j’ai tout réglé, j’ai appelé ma mère au téléphone pour l’informer :
« Maman, je me suis inscrite au concours de la police…
-Pourquoi… ?
-Parce que je veux me prendre en charge.
-Et tu ne pouvais trouver rien d’autre à faire que la police ?
-Autre chose… ! Mais la police c’est quelque chose de raisonnable, maman. »
Même réticence de la part de Daniel Hérot, son père, quoique nuancée : « Ma fille, si c’est la volonté de Dieu, tu réussiras. Mais si ce n’est pas sa volonté, tu ne réussiras point. Et je vais prier pour ça », rapporte-t-elle.
Ses camarades de l’université ont tout tenté pour la dissuader à revenir sur sa décision. « Tu es inscrite en faculté de sciences juridiques, tu as appris à être avocate. Mais pourquoi la police ? », Lui a lancé une camarade de fac. « La police est une issue en plus d’être un métier noble », lui a répondu, imperturbable, la jeune femme.
A 21 ans, Daniola, admise en 2e année de Sciences juridiques, vivait déjà hors du toit familial, et la nécessite d’une certaine autonomie se faisait plus que sentir.
Une rupture
La première manche remportée, Daniola passe les épreuves intellectuelles qu’elle juge très abordables ainsi que les épreuves physiques et le test médical tant redoutés par les filles.
Le 27 septembre 2015, elle franchit la porte d’entrée de l’Ecole nationale ou Académie nationale de Police, sise à la route de Frères, commune de Pétion ville, pour ses sept mois de formation. « Cette date sera toujours gravée dans mon esprit. J’avais un sac bien rempli au dos, un autre sur la tête et en plus, il fallait courir, sauter intensément aux commandements des instructeurs », se souvient-elle dans une description de ce que fut son baptême de feu.
« A ma première nuit, j’ai réalisé combien le lit était diffèrent. Nous étions 48 à partager la pièce. Les instructeurs sont venus très tôt le matin nous réveiller pour des exercices physiques », dit-elle. Et il en sera ainsi tous les jours et tout s’exécute au pas de course. Finie donc la vie civile, calme et libre. Le séjour à l’école sera tout autre. Ce n’est qu’au bout de deux interminables semaines que les cours proprement dit vont commencer.
« Tu as vraiment changé, Daniola » lui dirent les autres. A la faveur d’une première autorisation, Daniola est donc de retour à la maison et c’est la surprise générale. Changement physique, mais surtout comportemental. « Lors de ma visite, j’ai fait mon lit à mon réveil et je quitte la chambre, chose que je n’en avais pas l’habitude avant la formation », dit-elle émue. « Avant j’étais très irritable, mais avec la formation je suis capable de dominer mes émotions », confesse Daniola avouant que son séjour à l’ENP a restructuré son comportement.
Un changement de perspective
« Je pensais qu’un policier était une personne peu instruite, peu intelligente, une personne qui ne sait faire que le mal », avoue Daniola tout en se félicitant du curriculum incluant des cours sur le droit, actuellement en application, au sein de l’école. « Tout ce que je pensais des policiers n’était qu’ignorance », regrette-elle.
Le slogan créole « polis se dyob sèkey » (la Police, un métier qui conduit à la mort) ne l’intimide pas tant. Elle en est consciente, mais compte adopter les instructions sécuritaires apprises à l’école pour se protéger des dangers éventuels liés au métier.
« Lorsqu’un policier en faction manipule, par exemple, son téléphone, je me demande si ce dernier mesure le risque qu’il prend. Avant de protéger les autres, il faut se protéger soi-même », se persuade-t-elle en réaction à la dizaine des policiers, en exercices, assassinés rien qu’au début de l’année 2016.
Loin de déconseiller, son appel à l’endroit de ses cadettes potentielles aspirantes est clair : « si vous avez l’intention de devenir policières, n’hésitez pas. Car protéger et servir est le plus noble service qu’un citoyen puisse rendre à sa communauté. »
Daniel son père a oublié sa réticence de départ et est plein d’admiration pour sa fille. « Daniola est très motivée par ce qu’elle fait. Je suis très content pour elle ».
NDLR : Le texte a été rédigé quelques jours avant la graduation le 11 mai 2016 , de la 26e promotion de la police nationale d’Haïti.
Antoine Adoum Goulgué.