Des rêves au-delà des murs

10 avr 2017

Des rêves au-delà des murs

 

Taïna Noster - UN/MINUSTAH

«  Je suis de Ouanaminthe, mère de deux adolescents et  condamnée à 15 ans de prison. J’en ai déjà purgé neuf » raconte d’une voix lasse Josiane* (*nom d’emprunt). Couturière de profession, elle travaillait  dans une  usine de fabrication de valises avant son arrestation. A la prison, elle a appris à fabriquer des sandales en macramés. « Je ne confectionne pas seulement des sandales. Je me sers de  mes compétences pour confectionner d’autres gadgets comme des bracelets, des broches à cheveux », énumère-t-elle en montrant fièrement une de ses œuvres qui orne ses cheveux.  Sur une table au fond de la pièce,  Josiane expose ses réalisations à côté des valises, chapeaux et robes en crochet réalisés par une autre détenue.

Le 4 avril 2017, les détenues de la prison civile des femmes de Cabaret ont participé  à une séance de formation  sur le leadership et l’estime de soi. C’était également pour elles une occasion de valoriser  leurs talents à travers une exposition d’accessoires pour dame. « Comme on ne peut pas sortir, on profite de ses types d’activités, assez rare,  pour  exposer les fruits de nos ateliers de production» justifient-t-elles. Elles sont, en effet, nombreuses à avoir découvert le crochet et le macramé grâce au cours dispensés à la prison. Un métier qui, souhaitent-elles, les aidera  à prendre soin de leur famille une fois libre.

L’activité, organisée au lendemain de la journée nationale de la femme haïtienne célébrée le 3 avril,  visait  à aider les participantes  à  restaurer leur estime de soi pour mieux affronter leur réalité et faciliter leur réinsertion dans la société après leur libération. «  Ce que vous vivez en ce moment n’est qu’une page de votre vie. Une fois la page tournée, vous devez continuer », conseille Violine Thélusma, formatrice en développement personnel. Animée par l’association Passion et Amour de Soi(PAS) avec l’appui de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti(MINUSTAH), cette séance constitue, pour plusieurs détenues de Cabaret, « une porte entre-ouverte sur les jardins fleuris de l’avenir ».

Réussir sa vie après  la prison

Françoise*, jeune femme de 25 ans se dit bloquer depuis plus de 5 ans. Dans sa tête, sa vie s’est arrêtée le jour même où elle est entrée en prison. Elle reste convaincue que tout reviendra comme avant à sa sortie de prison. Même son âge demeurera inchangé.  A partir de cette formation, elle a décidé de casser les barreaux de la prison mentale dans laquelle elle s’était enfermée depuis tout ce temps. 

 

 

Pour affronter l’après prison et surtout éviter de récidiver, le psychologue Evenson Jean leur enseigne deux techniques. La première consiste à comprendre le passé et la seconde les invite à évaluer les conséquences de leurs actes avant même de les concrétiser. « Votre passé fait partie de votre vie mais ne doit en aucun cas définir votre présent et encore moins votre avenir »,  exhorte le psychologue. Il encourage chaque participante à « jeter cette séquence de leur vie aux oubliettes une fois les leçons  apprises ».

Déjà, des projets de toute sorte se profilent  dans  l’imaginaire des jeunes dames. « Je quitte la prison en mai. Une fois dehors, je reprendrai mes études. A 30 ans, je décrocherai mon diplôme en administration»,  annonce fièrement Patricia*. Certes, ce sera plus tard qu’elle ne l’espérait, mais l’essentiel pour elle,  c’est de réaliser son rêve. Jeune fille affable, Patricia était encore mineure quand elle  a intégré la prison pour femme en 2011.  Elle a été jugée et condamnée à six ans de prison ferme en 2015. Volubile, débordante d’énergie, elle ne tient pas en place. Cette formation sur le leadership et l’estime de soi à laquelle elle a participé lui donne des idées pour mieux affronter la prison. « Dès maintenant, je vais commencer mes séances de méditation pour apprendre à mieux me connaitre et surtout à mieux gérer mes émotions », poursuit-elle sur un ton grave cette fois-ci. Elle entend aussi partager avec ses camarades de cellules ses nouvelles connaissances.

A la prison civile des femmes à Cabaret, chaque détenue à une histoire à raconter et des rêves en veilleuse. Si certaines sont déjà fixées sur leur sort, d’autres attendent encore leur jugement. Jacqueline* en est l’exemple vivant. Elle vient de boucler, en mars dernier, sa  5ème année de détention préventive.

Cela ne brise pas pour autant ses rêves. Cette mordue de la musique aspire à une carrière internationale à sa sortie de prison. « J’ai déjà accompagnée Bélo sur scène lors de ces prestations à la prison», explique-Jacqueline pour confirmer son talent. La musique, c’est sa vie. Elle l’aide à garder la tête hors de l’eau quand  elle tend à s’enliser dans la déprime. Sa passion lui donne la force de faire front aux attaques de ces camarades de cellules.  Maintenant, à côté de la musique, elle vient  de découvrir avec (PAS) des exercices de relaxation.

Passion et Amour de Soi(PAS) est une association de jeunes professionnels haïtiens. Très active dans les quartiers  difficiles de Port-au-Prince, les membres  travaillent, selon la vice-présidente Raphaëlle Jeorveline Barreau Bateau,  à la reconstruction de « l’être haïtien ». « Nous sommes une association de jeune cadres qui s’engagent dans le développement du pays en ciblant particulièrement les jeunes puisqu’ils sont majoritaires», conclut-elle.

 

Rédaction : Taïna Noster