La depression: une maladie comme les autres

7 avr 2017

La depression: une maladie comme les autres

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

« À 25 ans, j’ai été très affectée par la mort de mon père. A un moment donné, j’ai même fui le reste de ma famille », confie Fabienne, ainsi connu. Âgée d’une trentaine d’années aujourd’hui, la jeune fille estime avoir remonté la pente sans l’aide directe d’un professionnel de santé. Par ailleurs, elle avoue ressentir encore un grand vide.

« Mon père n’était pas seulement mon paternel, il était aussi mon modèle. Un modèle de sagesse, de générosité, d’humanisme qui marque toute ma vie.  Après la mort de ma mère alors que j’avais 10 ans, il s’était consacré entièrement à nous élever, (mon frère, ma sœur et moi) sans refaire sa vie. A sa mort, j’ai été perdue, effondrée. J’ai perdu ma force de vivre. J’ai cessé toutes mes activités, y compris ma relation avec les autres. J’ai cru que la vie était finie, vraiment, car je ne voyais pas comment  continuer à vivre avec ce vide», raconte-elle avec un sourire indéchiffrable.

Si Fabienne estime avoir surmonté sa dépression seule, elle encourage toutefois celui qui aurait vécu la même expérience ou un autre traumatisme marquant, de se faire aider par un spécialiste. « J’ai eu de la chance d’avoir pu reprendre une vie normale sans un appui psychologique. Mais une foi consciente de mon problème, j’en ai quand même parlé avec des amis et ma famille qui m’ont compris et m’ont apporté support et réconfort. Si je n’avais pas pris conscience de mon problème, je serais encore dans un trou noir. C’est un miracle de Dieu et je considère mon cas comme l’exception à la règle», ajoute la jeune fille.

Aujourd’hui, Fabienne est devenue une professionnelle très responsable et elle consacre une partie de son temps libre dans des activités sociales comme « Toastmasters » visant à aider les autres, en particulier les jeunes, à renforcer leur développement personnel par la communication et le leadership.

En effet, selon Dr Jacqueline Baussan, présidente de l’Association des Psychologues haïtiens, la dépression est une maladie caractérisée par des troubles d’humeur. Elle peut prendre diverses formes: Tristesse persistante, apathie, perte d’intérêts pour les activités quotidiennes, perte de poids ou d’appétit, excès de colère ou inertie, perte de sommeil, perte de confiance en soi, problème de concentration pour ne citer que ceux-là. « La personne se laisse même abuser, convaincu qu’elle ne vaut pas la peine », souligne la spécialiste en santé mentale.

La dépression, personne n’en est exempt

Photo : Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

La dépression est une affection qui touche les personnes de tout âge, de tous les horizons et de tous les pays. La perte d’une personne chère, la maltraitance ou séparation chez les enfants, la perte de l’emploi, des victimes de viol qui n’ont pas été prises en charge sont, selon les spécialistes de la santé mentale, entre autres causes de dépression.

Pour sa part, Dr René Domersant, coordonnateur de la santé mentale pour le ministère de la santé publique et de la population (MSPP), la dépression  peut être également la résultante des séquelles de catastrophes naturelles. Il est normal que quelqu’un qui a vécu une situation inhabituelle soit affecté émotionnellement. Mais, quand la tristesse ou le changement d’humeur perdure, cela peut devenir une maladie, précise le médecin.  En ce sens, le ministère de la santé publique et de la population multiplie les efforts pour intégrer l’aspect « santé mentale » au niveau des soins primaires, par le renforcement de son personnel soignant (médecin, infirmière et autres), car selon les responsables, l’affection mentale est une maladie comme toutes les autres.

 

Des conséquences à double sens liées à un mode vie

Une dépression non soignée peut amener à d’autres comportements comme l’addiction à la drogue, à l’alcool et à la consommation d’autres produits toxiques. « Quelqu’un qui évolue dans l’environnement  d’un parent alcoolique ou drogué par exemple, peut devenir dépressif. L’inverse est également vrai », souligne Dr Baussan, avant d’ajouter que tout dépend des ressources personnelles de la personne.

« Il y a un lien très fort entre la culture et l’impact que peut avoir un trouble psychologique sur la personnalité ou l’identité d’une personne », indique d’autre part, le Dr Antonio Caputo, un psychothérapeute d’origine italienne. Il  travaille en Haïti depuis environ 8 mois et apporte son support à la Fondation Saint-Luc de Port au prince. Par expérience, le Psychologue précise que deux personnes peuvent avoir subies un même traumatisme, mais réagissent différemment, dépendamment de leur culture.

« En Europe, en Amérique du Nord et dans les pays occidentaux en général, la psychopathologie la plus fréquente liée à la dépression est l’anorexie nerveuse. Cependant,  mon expérience en Haïti me porte à croire que cette pathologie n’existe pas », déclare-t-il. Par contre, il révèle avoir diagnostiqué dans le cadre de son travail, plusieurs cas d’hystérie, dont les symptômes sont notamment: perte de la notion du temps, de la parole, trouble de la vue, de la concentration etc. 

A l’instar de la présidente de l’association des psychologues haïtiens, madame Baussan et du coordonnateur de la santé mentale du MSPP, Dr Domersant, Antonio considère la dépression comme toutes les autres maladies. Elle a besoin d’être soignée. « Voir un professionnel de santé mentale aide parfois à se découvrir », soutient le psychologue qui encourage les personnes affectées à passer outre les stigmatisations qui les astreignent souvent à se faire soigner.  Une thérapie peut aider à se découvrir.

Dans le cadre de la célébration de la Journée mondiale de la santé, commémorée le 7 avril  de chaque année,  le ministère de la santé publique et de la population (MSPP) ainsi que  l’Organisation Panaméricaine de la Santé / Organisation Mondiale de la Santé (OPS/OMS) lancent une campagne visant la promotion de la prise en charge de la santé mentale.  L’OPS/OMS rappelle que plus de 300 millions de personnes dans le monde souffrent de dépression,  soit une augmentation de plus de 18% de 2005 à 2015. C’est une occasion unique de mobiliser l’action autour d’un thème de santé spécifique qui concerne le monde entier; “Dépression, parlons-en”

L’OMS rappelle qu’il faut lutter contre les préjugés et invite les personnes atteintes de cette maladie à aller chercher du soutien. «Le fait de parler à une personne de confiance est souvent le premier pas vers le traitement et la guérison», souligne le Dr Saxena, Directeur du Département Santé mentale et abus de substances psychoactives à l’OMS.

 

Rédaction : Marie Yolette B. Daniel