Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

« Cette année est la pire de toute notre histoire d’agriculteur. On a tout perdu », lâche Job Jean-Baptiste, cultivateur et père d’une famille de trois enfants. À elle seule, cette phrase décrit le désarroi de plusieurs centaines de producteurs de petit mil de l’Étang, dans le haut-Artibonite, de Boucan carré et de Mirebalais, dans le bas-plateau central, de Juanaria et Cobanale dans le haut plateau central.

Après plusieurs mois de sécheresse, les planteurs ont finalement reçu la pluie tant attendue au milieu du quatrième trimestre de l’année 2015. Seulement, ce qui pour eux, devrait être une bénédiction, c’est vite transformé en calamité. « Après cette pluie, nous avons tout perdu » se lamente Péniel Jean, un autre cultivateur. N’ayant pas d’autres sources de revenus, ce dernier avait tout misé sur sa culture de millet.

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

En effet, quelques jours après une pluie inattendue, les agriculteurs ont remarqué  à certains endroits des plantations, une certaine altération au niveau de la structure des tiges et des feuilles de petit mil. Cette déviation s’est vite transformée en catastrophe.

Selon le témoignage des paysans des départements touchés, les jardins, en plus d’être recouverts de multitude d’insectes non identifiés, ils sont infestés de mouches, de guêpes, de fourmis et d’abeilles.

Au bout d’un moment, les tiges et les épis du petit mil sont brulés et recouvertes d’une substance noirâtre. « Les agriculteurs sont sur le choc. C’est la première fois qu’ils  sont confrontés à un phénomène de cette ampleur», souligne Louijeune Gusmane, gestionnaire, fils de paysan-agriculteur. 

Plus loin que la perte de la récolte de petit mil.

Photo: Marie Yolette B. Daniel - UN/MINUSTAH

La culture du millet est considérée dans certains départements du pays comme denrée principale. Ensemencer pendant la période pluvieuse, les cultivateurs doivent attendre la fin de décembre pour récolter les fruits de leur  labeur. Et, si on en croit la révélation de plus d’un pratiquant, un tas de projets des familles dépendraient de cette culture.

 « La vente d’une partie de la culture nous sert à payer l’écolage et acheter des livres pour nos enfants. C’est grâce à l’argent tiré que nous achetons d’autres produits de première nécessité comme des haricots ainsi que des accessoires pour les besoin des familles », confie Exavier Joseph. Le petit Mil récoltés à la fin de décembre, est stocké et utilisé en bon père de famille. La partie non vendue sert de réserve alimentaire jusqu’à la nouvelle récolte de maïs et d’autres récoltes (en juillet de l’année suivante).

 « Je vais mourir de faim », se plaint Appaud Jean, un septuagénaire, vivant au environ de la commune de Hinche. Ce vétéran a plus de 50 ans d’expérience dans la culture de la terre. À son âge, il ne compte que sur son verger pour subsister et subvenir au besoin de son petit-fils orphelin, son unique compagnon. « Je n’ai plus de force, mais je suis obligé de continuer à travailler », dit-il avec désolation. Lui et d’autres paysans de son acabit redoutent les conséquences de cette épidémie.

Malgré des déductions des experts, les cultivateurs tombent des nus.

Selon le directeur départemental du ministère de l’agriculture de l’Artibonite, Jocelyn Jean, il s’agit d’une invasion d’insectes dont la sécheresse a facilité la propagation. « En s’attaquant aux plantes, ils aspirent la sève et recouvrent les tiges d’une substance gluante qui empêche la montée de la sève dans la tige et de l’eau dans les racines.  Ainsi, la plante se dessèche puisqu’elle est coupée de toutes ses sources d’alimentation », a-t-il expliqué.

Debout devant son jardin de petit mil asséché, l’air lointain, Ronald Louis raconte le calvaire des habitants de L’Étang. D’une voix empreinte de tristesse, le cultivateur indique qu’en plus du temps et de l’énergie consacrés à leur plantation,  les planteurs de sa communauté paient à 350 gourdes de l’heure, l’eau destinée à leur arrosage.

« Pour réussir mon jardin, il m’a fallu quatre séances d’arrosages à raison de cinq heures par arrosage » dévoile-t-il. Sans compter les insecticides, l’achat de semences et le paiement des manutentionnaires. « J’ai planté un demi carreau cette année. J’ai perdu ma récolte trois jours après arrosage » témoigne ce père de famille. Ce cultivateur avoue ne rien comprendre de ce qui leur arrive…

Parlant de la production des céréales en Haïti, le millet est classé en troisième position par le ministère de l’agriculture.  Contrairement aux autres cultures qui nécessitent une terre fertile et beaucoup d’eau pour leur développement et productivité, l’exploitation du petit mil se fait aussi bien sur des terres arides qu’irriguées. 

« La culture du millet a besoin d’un minimum de 400 à 800 millimètres d’eau pour sa production», affirme le responsable de la production végétale du ministère de l’agriculture,  Arnoux Sévain. Ce dernier estime la production annuelle du millet à 140,000 tonnes cultivées sur 120,000 hectares de terre environ. Le représentant du ministère attribue à un dérèglement climatique l’épidémie qui a frappé le petit mil. Comme les paysans, il estime que la perte de la production du petit mil estimée à 97%, a un impact négatif à plusieurs niveaux de la vie économique du pays et sur les familles paysannes en particulier.

Des retombées qui ne se font pas attendre / De mal en pis

Cette épidémie viens aggravée une situation déjà difficile pour les agriculteurs haïtiens. En effet, selon le dernier rapport du Programme Alimentaire Mondiale des Nations Unies (PAM), daté du  09 Février 2016,  la sécheresse ayant touché Haïti pour la troisième année consécutive, intensifié par le phénomène météorologique mondial « El Niño », a doublé le nombre de personnes souffrant d'insécurité alimentaire.

D’après le résultat d’une évaluation réalisée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO),  le PAM et la Coordination nationale de la sécurité alimentaire en Haïti (CNSA), quelque 3,6 millions d'Haïtiens souffrent d'insécurité alimentaire. Parmi eux, 1,5 million se trouve en condition d'insécurité alimentaire sévère.

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 Lire aussi: Sécheresse, une grande source de preoccupation en Haïti

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Problème connu, mesures d’accompagnement annoncées

Toutefois, les cultivateurs ne se laissent pas abattre par les difficultés. Boostés par les démarches déjà entreprises par le ministère concerné ainsi que des organisations paysannes telle que le « Mouvement des Paysans de Papaye (MPP) dans le plateau central, ils continuent d’espérer et entendent recommencer.

Le Ministère de l’Agriculture planche sur une réponse nationale qui sera adaptée à chaque région en fonction des besoins. De son côté, le PAM prévoit d'intensifier ses programmes d'assistance alimentaire afin de répondre aux besoins les plus critiques et immédiats de 1 million de personnes victimes de la sécheresse en distribuant des liquidités et des rations alimentaires.

Il est également prévu une campagne de sensibilisation sur la maladie ainsi que des mesures d’accompagnement des planteurs durant la campagne printanière.

Rédaction: Marie Yolette B. Daniel, Taina Noster