Haïti : la marche vers la maternité sans risque encore longue

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24 fév 2015

Haïti : la marche vers la maternité sans risque encore longue

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

 

« Je vois certaines femmes enceintes, sur le point d'accoucher, devoir marcher pendant plus d’une heure pour se rendre à l’hôpital. Des fois elles sont transportées la nuit sur des brancards ou au dos d’une mototaxi, à travers des sentiers  exigus et dangereux », rechigne Mme Josué sur le point de mettre au monde son troisième bébé.

Cette résidente de Grand’ Ravine, quartier pauvre de Port-au-Prince, se refuse à courir de tels risques.  «Moi, je ne peux pas», explique-elle. «Je préfère rester chez moi. Et puis, nombre de femmes accouchent chez elles depuis des lustres »

En Haïti, environ 2/3 des accouchements se font encore sans l'assistance d'un professionnel de santé qualifié. Ceci, malgré le fait qu’ il y a trois fois plus de risques pour une femme qui accouche à domicile de perdre sa vie ainsi que celle de son enfant selon l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS.

La possibilité d’accoucher dans une maternité ou dans un centre médico-sanitaire approprié n’est pas à la portée de toutes les femmes en état de procréer. Une situation qui s’explique, selon l’OMS, par plusieurs raisons au nombre desquelles l’éloignement des services de santé maternelle et le coût des services de santé.

Si certaines disent préférer les services d’une matrone parce que cette dernière est plus disponible et moins coûteuse en termes de services, d’autres acceptent la situation simplement parce qu’elles n’ont souvent pas le choix.

« J'avais senti les premiers symptômes annonciateurs de mon accouchement depuis hier. J'étais accompagnée d'une matrone. Mais, elle était obligée de se déplacer. Elle m'avait demandé de l'attendre. Mais, mon mari m'a conseillé de venir ici », raconte Gisèle. « Alors, j'ai dû faire une longue marche jusqu'à la gare routière. Je crois que si j'étais restée à la maison, je n'aurais pas eu mon bébé avec moi, maintenant », soutient-elle, estimant avoir été bien prise en charge dans un centre hospitalier de la capitale par des infirmières sages-femmes.

D’autres femmes qui, à l’instar de Mme André, ont déjà fait l’expérience des matrones, se déclarent certes satisfaites de leurs services, mais préfèrent aujourd’hui prendre la voie de la « modernité » pour avoir eu la chance, pendant leur grossesse, de fréquenter des structures sanitaires appropriées.

 « En plus de nous suivre, les infirmières ou sages-femmes nous prodiguent aussi des conseils », explique Mme André. « Je vois plusieurs autres femmes ici. Elles disaient préférer accoucher à domicile. Mais finalement, elles ont compris la nécessité de se rendre en urgence à l'hôpital pour éviter d’éventuelles complications ».

 

En effet, la plupart des décès surviennent malheureusement lors de l'accouchement ou dans la période post-partum, surtout en milieu rural notamment à cause des difficultés d'accès à des soins obstétricaux d'urgence ainsi qu'à des moyens de transport permettant de se rendre dans un établissement de santé.

Cette situation, le ministère de la Santé publique et de la Population, MSPP, en est bien conscient.

« Depuis ces dix dernières années, nous tentons d’y remédier », explique le Docteur Reynold Grandpierre, responsable de la direction de la santé de la famille au niveau du MSPP.

Il soutient qu’« en 2012, 38% des accouchements en Haïti ont été effectués au niveau institutionnel, contrairement à 2006, où le taux était de 25% ».

Et, cette amélioration est notamment le résultat d’un projet conjoint d’offre gratuite de ‘’Soins Obstétricaux Néonataux d'Urgence de Base’’, communément appelé, SONUB, financé par deux agences du système des Nations Unies à savoir le Fonds des Nations-Unies pour la population, FNUAP et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, UNICEF.

Un projet qui a pour objectifs de «  faciliter l’accès des femmes aux soins , et de réduire les dépenses de santé, qui constituent un poids énorme dans le budget de nombreuses familles économiquement faibles », note Joan Lysias, chargée de programme de la santé de la reproduction, au FNUAP.

« Ici, nous faisons des accouchements eutociques. C'est-à-dire, des accouchements sans complications », explique Réza PierrePierre, Infirmière Sage-femme, responsable de la maternité SONUB, fonctionnant au Centre Médico Social de Petite Place Cazeau, à Port-au-Prince. « Si au cours du processus, nous remarquons des signes d’une éventuelle complication, nous referons cette patiente dans les maternités des hôpitaux spécialisés, car tout ce qui est chirurgical, n’est pas de notre ressort ».

Dans cette maternité, à l’instar d’ autres du même type, tout est gratuit de la grossesse à l’accouchement.

«  Quand je viens, » raconte Maude sur son lit, assise à côté de son bébé, « on contrôle mon poids. On mesure ma tension artérielle.  Ensuite, l’infirmière remplit mon dossier médical. Elle s’assure que j’ai déjà pris mes doses de vaccin, que je ne suis pas asthmatique, ni diabétique, par exemple ou que je n’ai pas l'habitude de consommer de l'alcool et du tabac »,  ajoutant que sa tension artérielle a connu une hausse vers la fin de la grossesse suite à un évènement inattendu dans son quartier.

Le Bureau des Nations Unies pour les services d'appui aux projets (UNOPS),  a pour sa part aidé soit dans la construction soit dans la réhabilitation d’une cinquantaine de structures relatives à la maternité depuis 2012, mais une vingtaine, selon le FNUAP, est fonctionnelle. Elles sont toutes prises en charge exclusivement par des sages-femmes, à travers le territoire haïtien.

 

 

Rédaction : Pierre Jérôme Richard