Interview : Léon Gaisli, athlète paralympique haïtien : « J’en suis convaincu, un jour notre pays va évoluer »

20 sep 2012

Interview : Léon Gaisli, athlète paralympique haïtien : « J’en suis convaincu, un jour notre pays va évoluer »

Victime du séisme du 12 janvier 2010, Léon Gaisli a perdu dans la tragédie son épouse, ses huit enfants et l’usage de ses deux jambes. A force de travail et d’abnégation, s’étant entraîné depuis maintenant un an sur les routes du Cap Haïtien au cyclisme de piste dans une chaise conçue spécialement pour lui, il a participé, pour la première fois dans l’histoire d’Haïti, avec deux autres athlètes haïtiens, aux jeux paralympiques de Londres en Grande-Bretagne, du 29 août au 9 septembre derniers. Rentré au Cap Haïtien ce 19 septembre, Léon est en forme, et suscite la fierté et l’admiration des autres patients du Centre de Réhabilitation Pascale Aurelie Toussaint - financé en grande partie par la MINUSTAH - où il est en traitement depuis deux ans. La diffusion des images de Léon au stade olympique de Londres sur le petit écran du Centre a soulevé beaucoup d’émotion. « Le succès de Léon fait renaitre l’espoir en chacun de nous », assure son voisin de lit. A son retour, Léon Gaisli partage ses souvenirs, les leçons tirées de son expérience olympique, mais aussi et surtout, ses inquiétudes sur son avenir.

Interview : Léon Gaisli, athlète paralympique haïtien : « J’en suis convaincu, un jour notre pays va évoluer »

Photo : Vicky Delore Ndjeuga – UN/MINUSTAH

Léon Gaisli, vous venez de participer aux jeux paralympiques 2012 à Londres. Comment les choses se sont-elles passées ?
Une délégation est venue m’accueillir à l’aéroport. Tous les organisateurs étaient contents de me voir, ça m’a vraiment fait plaisir. J’ai été reçu comme un président ! Pour ce qui est de la compétition elle-même, je n’ai pas pu parcourir les 16 km règlementaires car mon vélo est tombé en panne. Si j’avais pu marcher, j’aurai couru jusqu’à la ligne pour remporter la victoire. Mais hélas ! J’étais fâché. Tout le monde me dépassait. A l’entrainement à Londres, j’ai fait remarquer cette anomalie à mon coach, Albert, qui a fait venir un mécanicien mais en vain. J’étais déçu, car j’ai peut-être raté la médaille à cause de cette panne.

Avez-vous fait des rencontres intéressantes à Londres ?
J’ai été ravi de rencontrer mes deux compatriotes haïtiens qui participaient à d’autres disciplines. Nephtali et Josué viennent de Port-au-Prince. Je les encourageais, et leur disais qu’on allait se surpasser pour faire flotter notre drapeau encore plus haut.

Avez-vous échangé avec les autres athlètes de la situation en Haïti ?
Bien sûr. Je leur ai expliqué que la situation est difficile en Haïti. Qu’Haïti pourrait être jolie comme leur pays. Mais que c’est le manque d’union entre les Haïtiens qui retarde le développement de notre pays. Mais - j’en suis convaincu - un jour notre pays va évoluer.

Quelles leçons tirez-vous de votre participation à ces Jeux?
Je ramène une médaille de participation ! J’ai fait beaucoup d’efforts, mais ce n’était pas encore mon tour. J’ai rencontré des handicapés qui sont dans un état encore plus critique que moi. Certains n’ont ni pieds ni mains. Mais ils sont bien traités et heureux. En Haïti, si je fais l’erreur de me retrouver sur la chaussée, on va me marcher dessus. Ailleurs, les handicapés sont respectés, on fait attention à eux. Ils ont des personnes qui les aident et les accompagnent partout, même dans la rue.

Que vous ont dit les handicapés des autres pays que vous avez rencontrés ?
Lors de mes conversations avec eux, je me suis rendu compte que les handicapés sont mieux encadrés dans les autres pays et que leur gouvernement les prend en charge. Ce qui n’est pas le cas chez nous. On nous traite en parents pauvres. Si aujourd’hui, on pouvait avoir une bonne politique de prise en charge des handicapés, ce serait bien pour toute la société.

Quelle différence entre le Léon Gaisli avant sa participation aux jeux paralympiques et celui d’aujourd’hui ?
Je me sens comme une autre personne. Parce que le monde entier me connait. Et j’ai rencontré beaucoup de monde. Ah… si je pouvais hisser plus haut le bicolore haïtien ! J’espère qu’un jour je ramènerai une médaille en Haïti. Mais, tout de même, je me sens comme un homme complet, parce que je viens de représenter mon pays.

Comment s’est passé l’accueil de vos amis du centre de réhabilitation à votre retour de Londres?
Tout le monde était content de me revoir. Je leur ai tout raconté. Je leur ai dit que mon vélo est tombé en panne. Sinon, j’allais tout faire pour ramener une médaille. Je leur ai demandé de ne pas se décourager, car si j’ai pu participer à ces jeux, c’est grâce à leur soutien.

Après Londres, quels projets ?
Je ne travaille pas, je n’ai aucune activité. Le responsable de l’hôpital m’a déjà dit que je devrais rentrer chez moi dans les jours qui viennent, mais où vais-je aller ? Je commence à réfléchir comment je vais vivre après avoir quitté l’hôpital. Ma maison a été détruite le 12 janvier 2010. J’ai perdu mon épouse et mes huit enfants. Je n’ai rien pour assurer ma survie. Cela me donne de gros soucis.

Comptez-vous poursuivre la pratique du sport?
Oui, je m’y engage ! Je ne veux pas retourner à Port-au-Prince, car j’aurai des difficultés à pratiquer le sport sur piste. Si j’ai un peu d’argent, j’irai à Ouanaminthe pour créer mon entreprise et subvenir à mes besoins. Mais je viendrai souvent au Cap pour le sport. Surtout que le centre va bientôt disposer d’une salle de sport pour handicapés (NDLR : un projet financé par la Section de la Réduction de la Violence Communautaire de la MINUSTAH).

Avez-vous un message à adresser aux handicapés et à tous les Haïtiens en général ?
Je veux dire aux handicapés : armez-vous de courage ! Ne pensez pas que la vie est terminée, une fois cloué sur une chaise. Car vous pouvez accomplir les mêmes tâches qu’une personne qui a tous ses membres. Tournons nous vers l’avenir. Il est important que les autorités offrent plus d’encadrement aux handicapés. Un handicapé peut contribuer au développement de son pays, comme toutes les autres personnes. Il suffit simplement qu’on lui en donne l’opportunité. Et surtout… je souhaite que l’Etat accompagne ces derniers pour ramener des médailles lors des compétitions internationales !

Propos recueillis par Vicky Delore Ndjeuga et Quetony Saintvil
Edition : Sophie Boudre