Kita Nago, du proverbe au slogan rassembleur

4 avr 2014

Kita Nago, du proverbe au slogan rassembleur

Bien que « Kita Nago », un morceau de bois devenu mythique en Haïti, ne fasse plus la une des journaux plus d’un an après avoir traversé le pays du Sud au Nord, les initiateurs de ce mouvement insolite veulent en faire un symbole d’union nationale.

« Un an plus tard, le Kita Nago, comme toute initiative, n’a pas laissé d’héritage », regrette Louis Gabriel Blot, professeur de sociologie de la communication à l’Université d’Etat d’Haïti. L’universitaire qualifie même l’évènement de « mouvement à effet feu de paille ».

Plus cinglant, son collègue Luné-Roc Zago Pierre-Louis parle d’ « nouveau mythe parmi tant d’autres qui traine derrière lui une foule naïve ».

La fièvre est passée « et Kita Nago est réduit à un simple mot qui sert à alimenter le théâtre verbal », estime pour sa part le Professeur Pierre-Louis.

Mais pour comprendre ce que symbolise aujourd’hui ce tronc d’arbre porté à dos d’homme d’un bout à l’autre d’Haïti, lors d’un chemin de croix hyper-médiatisé, un retour en arrière s’impose.

Pendant 27 jours, du 1er au 27 janvier 2013, des centaines de milliers de personnes ont accompagné le passage de ce tronc d’arbre de 500 kg porté à tour de rôle par des centaines d’hommes et de femmes sur une distance de 700 kilomètres.

Accueilli par une foule en liesse à chaque étape, suivi par les médias du pays, il a traversé Haïti de des Irois (au Sud-ouest du pays) à Ouanaminthe (Nord-est).

Après avoir gravi des montagnes, traversé des rivières, l’étang de Miragoane, la capitale et la plaine de l’Artibonite, Kita Nago est arrivé à sa destination finale à Ouanaminthe, où il est exposé depuis plus d’un an dans la Maison des Jeunes de cette ville frontalière avec la République dominicaine

Une solidarité nationale à reconquérir

Déposé sur des petites chaises locales offertes par un citoyen de Petit-Goave (dans le département de l’Ouest), « le monument attire l’attention des touristes locaux et étrangers qui viennent l’admirer », fait savoir la Secrétaire du comité de gestion du Kita Nago,

Nerline Mompremier. Fière, elle ajoute que « beaucoup de personnes nous visitent par simple curiosité ou encore pour rencontrer les membres du comité en vue d’obtenir des informations sur l’histoire du tronc d’arbre ».

En effet, le tronc d’arbre couvert de graffitis ne laisse pas insensible. Doté de sa propre communauté sur Facebook, cet objet certes banal suscite le lyrisme chez certains qui voient dans son parcours la manifestation d’une solidarité nationale à reconquérir.

Comme Marc-Henry Lucien, un enseignant aux Irois, point de départ du mouvement, pour qui « le Kita Nago envoie un message d’unité et de réconciliation nationale à la population haïtienne ».

« Le monde entier connait le nom des Irois – jadis dans l’ombre – grâce à Kita Nago », s’enthousiasme Loréna Wilbert. L’habitante de cette bourgade connue pour ses conflits communautaires pense que « ce mouvement a su développer une forme de solidarité au sein de la population qui fait face à des discordes politiques ».

D’ailleurs, « un mois après l’évènement, plus de 70 étrangers ont visité Les Irois », pourtant exclue de la carte touristique pour sa difficulté d’accès et sa réputation ‘chaude’.

Mais Rémy, lui aussi des Irois, est déçu. « Je pensais que ce gros projet symbolique allait rester dans la mémoire de tout haïtien à l’instar de la bataille pour notre Indépendance, mais malheureusement nos leaders politiques et communautaires n’ont pas réussi à exploiter ce geste pour agir dans l’intérêt du pays », déplore-t-il.

Pourtant, son voisin Blot voyait dans ce bout de bois « la preuve que si nous nous unissons et nous nous tenons par la main, nous pourrons faire de grands prodiges ».

Pour les organisateurs du mouvement, « le temps est à la réflexion », lance, laconique, Smoye Noisy, le publicitaire qui a fait d’un pari fou une épopée nationale. Harry Nicolas, connu sous le joli nom de Mèt Fèy Vèt (Maitre Feuille Verte), est plus positif.

« Chaque fois que je rencontre quelqu’un dans la rue, il me demande : ‘où est ‘mon’ arbre ? comment va-t-il ? ‘ », sourit-il.

Kita Nago est même rentré dans le langage commun des jeunes, dans la publicité et dans la musique populaire. « Cela démontre qu’il est bel et bien présent dans l’esprit des Haïtiens », soutient Nicolas.

Et après ?

En vue de pérenniser le mouvement, Harry Nicolas annonce la sortie prochaine d’un numéro hors-série de 120 pages sur l’histoire, le parcours et l’esprit du Kita Nago. Il prévoit aussi la diffusion d’une chanson sur le tronc d’arbre dans les medias locaux.

Ambitieux, Harry Nicolas ne compte pas en rester là et prévoit d’organiser au cours de l’année deux événements singuliers toujours sous le thème de la solidarité humaine.

Intitulé Kita Nago Bon Voisinage, le premier projet prône l’entente entre les Haïtiens et leurs voisins Dominicains. Pendant une journée, les riverains de la frontière à Ouanaminthe, Fonds-Parisien, Belladères et Anse-à-Pitre, vont défiler avec un mot d’ordre : « nous ne fabriquons pas d’armes à feu ni de balles, nous ne ferons pas la guerre ».

Enfin, le Kita Nago 7 Générations, est une campagne de sensibilisation nationale à travers tout le pays sur un thème tiré au sort, comme l’agriculture, l’environnement, la santé ou encore la sécurité.

Des spécialistes haïtiens dans chaque domaine participeront aux débats pour proposer, ensemble avec les citoyens, des solutions pour le futur d’Haïti.

Quant au tronc d’arbre à Ouanaminthe, un musée en son nom est toujours en projet. Un musée qui, rêve Harry Nicolas, devra être le « symbole de la solidarité nationale ».

Jonas Laurince / Therese St-Elin Bien-Aimé / Fobert François – UN/MINUSTAH