La Chef de la MINUSTAH devant le Conseil de Sécurité de l’ONU : le texte intégral

30 aoû 2013

La Chef de la MINUSTAH devant le Conseil de Sécurité de l’ONU : le texte intégral

Le 28 août dernier à New York, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies et Chef de la MINUSTAH, Sandra Honoré présentait, pour la première fois depuis son entrée en fonction le 15 juillet dernier, le rapport de Ban Ki-moon sur la MINUSTAH. Lisez l’intégralité de son intervention devant le Conseil de Sécurité de l’ONU :

 

Je tiens à remercier très sincèrement la République argentine, en sa qualité de Présidente du Conseil de sécurité, et l’ensemble de ses membres d’avoir organisé la présente séance dont l’objectif est de présenter au Conseil le dernier rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) (S/2013/493).

Je me félicite également de cette occasion de faire part au Conseil, pour la première fois en ma qualité de Représentante spéciale du Secrétaire général, d’une évaluation de l’évolution la plus récente de la situation politique et des conditions de sécurité en Haïti, ainsi que des activités que la MINUSTAH a menées ces derniers mois en appui à la consolidation de la paix, la stabilité politique et le renforcement de l’état de droit.

Je saisis aussi cette occasion pour saluer la présence du Représentant permanent de la République d’Haïti.

Je voudrais d’abord remercier tout particulièrement l’ensemble des pays qui fournissent des contingents et des effectifs de police à la MINUSTAH, ainsi que tous les Etats Membres pour leur collaboration au processus de stabilité et de reconstruction et leur appui inestimable à la consolidation de la paix et de la démocratie en Haïti.

Depuis le dernier exposé présenté par mon prédécesseur au Conseil de sécurité en mars dernier dans l’ensemble, l’état de la sécurité est demeuré relativement stable, les troubles civils et la grande criminalité ayant diminué. Les statistiques indiquent une tendance à la baisse des homicides, des enlèvements et des cas de troubles civils violents pour le premier semestre de cette année, par rapport à la même période en 2012. Cependant, nous avons récemment constaté une augmentation du nombre de manifestations politiquement motivées mêlant des revendications socioéconomiques et d’autres messages antigouvernementaux, relayant notamment le mécontentement portant sur l’impasse électorale actuelle.

Avec l’appui de la Police des Nations Unies, à mesure qu’elle a continué d’assumer davantage de responsabilités, la Police nationale a amélioré ses prestations en assurant la sécurité interne notamment dans les quatre départements – sur les 10 que compte le pays – que la composante militaire de la MINUSTAH avait quittés. Les composantes militaire et de police de la Mission ont tout de même continué à jouer un rôle important en appuyant la Police nationale pour ce qui est du maintien de la sécurité et de la stabilité en général. Le renforcement de la Police nationale demeure un indicateur important de stabilisation, surtout en ce moment où la MINUSTAH continue de mettre en œuvre son plan de consolidation.

S’agissant de la situation politique, le report systématique des élections sénatoriales partielles et des élections municipales et locales est de plus en plus préoccupant et présente des risques pour le processus de stabilisation. Nous nous félicitons de ce qu’hier, le Président Martelly ait présenté au Parlement le projet de loi électorale, une mesure tant attendue et indispensable pour le démarrage du processus électoral. Cependant, il y a eu de longs retards causés en partie par le fait qu’il a fallu huit mois aux trois branches du pouvoir pour désigner les neuf membres du Conseil électoral, qui a finalement été mis sur pied en avril 2013, et par la transmission tardive du projet de loi électorale par le Conseil électoral au pouvoir exécutif et ensuite par le pouvoir exécutif au Parlement.

Malgré les déclarations publiques répétées du pouvoir exécutif en faveur de la tenue des élections le plus rapidement possible, ces retards ont conduit un certain nombre d’acteurs politiques et de la société civile à exprimer leur scepticisme quant à la probabilité que les élections auront lieu en 2013.

Si les dispositions de la loi électorale de 2008 venaient à être appliquées, et si les élections sénatoriales ne se déroulent pas d’ici janvier 2014, le Sénat, et en conséquence logique le Parlement, risquent d’être inopérants, ce qui marquerait un véritable recul du processus démocratique, qu’Haïti n’a pas le luxe de s’offrir. Dans un tel cas, on ne peut exclure une possible mobilisation des forces de l’opposition et de la société civile qui pourrait déstabiliser la situation politique et sécuritaire.

Les retards dans la présentation du projet de loi électorale par le pouvoir exécutif au Parlement ont alimenté les spéculations parmi les législateurs que le pouvoir exécutif avait délibérément retardé le processus afin d’empêcher le Parlement de fonctionner. Cette perception a conduit un regroupement des principaux partis d’opposition à demander publiquement à plusieurs reprises au Président Martelly d’organiser les élections en temps voulu comme l’exige la Constitution ou bien de démissionner, popularisant ainsi le slogan suivant : « élections ou démission ».

Entre-temps, la mort soudaine, le 13 juillet, d’un juge qui avait cité à comparaître le Premier Ministre et d’autres hauts responsables gouvernementaux dans le cadre d’une enquête sur des allégations de corruption concernant des membres de la famille présidentielle a soulevé une vive controverse. Les observateurs ont exprimé des inquiétudes quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire après une série de mandats d’arrêt prêtant à controverse émis contre des personnes liées à l’enquête sur cette affaire de corruption présumée. En attendant, les commissions spéciales du Sénat et de la Chambre des députés se sont penchées sur les circonstances de la mort du juge en question.

Dans ce climat de polarisation et de suspicion mutuelle, je suis restée en contact avec les principaux acteurs politiques haïtien des deux bords afin de promouvoir un dialogue, dans le but de parvenir à un compromis sur la voie à suivre, en particulier en ce qui concerne les élections. En outre, je me suis entretenue régulièrement avec les membres du corps diplomatique accrédité en Haïti, notamment les pays fournisseurs de contingents, pour m’assurer que tout est mis en œuvre pour assurer la continuité des institutions du pays, et en particulier le fonctionnement du Parlement au-delà de janvier 2014. Il est essentiel pour nous, en tant que communauté internationale, de continuer à faire preuve d’unité et à nous exprimer d’une seule voix.

En ce qui concerne la consolidation de la MINUSTAH sur la base de certaines conditions, les composantes militaire et de police ont achevé la réduction partielle de leur personnel au cours de la période considérée, tel que prévu par la résolution 2070 (2012). La Mission est prête à procéder à de nouveaux ajustements s’agissant de ses effectifs, conformément aux instructions qui pourraient être données par le Conseil à cet égard en octobre.

En ce qui concerne le choléra, au 29 juin 2013, l’épidémie avait fait 8 173 morts et plus de 660 000 malades. Le budget du Plan national d’élimination du choléra est de 443,7 millions de dollars pour la période 2013-2015, pour lesquels il y a eu des annonces de contributions à hauteur de 47%. Les Nations Unies continuent d’appuyer les efforts du Gouvernement haïtien s’agissant des priorités à court et à moyen terme qui permettront d’éliminer la transmission du choléra dans le pays.

Mon prédécesseur, ainsi que le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général auprès de la MINUSTAH et moi-même nous sommes entretrenus plusieurs fois avec le Président Martelly et le Premier Ministre Lamothe pour leur expliquer la réduction progressive des effectifs de la MINUSTAH, son plan de consolidation et les quatre indicateurs de stabilisation. Les deux dirigeants se sont dits favorables à un retrait progressif de la Mission à mesure que les institutions nationales se doteraient de moyens renforcés. À cet égard, un groupe de travail mixte Gouvernement-MINUSTAH a été créé en avril pour suivre le transfert progressif et ordonné des responsabilités au Gouvernement. Il est crucial que le Gouvernement, avec l’appui de la MINUSTAH, déploie des efforts sur plusieurs fronts pour accomplir des progrès par rapport aux indicateurs de stabilisation.

Les progrès enregistrés en termes de stabilité et de sécurité doivent être préservés en vue de l’aboutissement des efforts que continue de déployer Haïti pour établir des partenariats économiques, attirer des investissements étrangers et promouvoir le développement socioéconomique – pierre angulaire d’une stabilité durable.

S’agissant des indicateurs relatifs à la formation de la police, pour que les objectifs du Plan de développement 2012-2016 de la police soient réalisés, le Gouvernement et les États Membres doivent faire preuve d’un engagement soutenu et s’assurer que les ressources nécessaires à la constitution de forces de police professionnelles, fiables et responsables sont bien disponibles. Parmi les problèmes qui subsistent dans ce domaine, on peut citer le fait que la police n’est pas présente dans toutes les régions en raison de la pénurie de personnel et la nécessité de continuer à renforcer les capacités administratives et de gestion de la police et son Inspection générale.

Les retards dans la mise en place du Conseil électoral et l’absence de clarté quant à la loi électorale ont jusqu’ici empêché l’organe électoral d’avancer de manière appréciable dans les préparatifs du processus électoral. Néanmoins, le Conseil électoral à déposé une requête pour que ses dépenses opérationnelles soient incluses dans le budget national 2013-2014; et le Directeur général et des conseillers ont commencé à établir le planning électoral. L’objectif de la MINUSTAH est de créer des conditions permettant au Gouvernement haïtien d’assumer progressivement la responsabilité de la gestion du processus électoral.

S’agissant du respect de l’état de droit, les mécanismes de contrôle et de définition des responsabilités prévus dans la Constitution ont été mis en place, mais le Gouvernement et ses partenaires internationaux doivent impérativement continuer à renforcer les capacités de ces institutions. Ainsi, à défaut de mettre en place une Inspection générale forte pour prendre en charge la vérification des antécédents des juges avant leur nomination, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ne sera pas à même d’exercer un contrôle efficace sur le pouvoir judiciaire. Renforcer l’état de droit implique également de permettre aux principales institutions de contrôle d’opérer en toute indépendance.

Concernant les indicateurs de gouvernance de la Mission, la MINUSTAH s’est employé, dans le cadre de ses bons offices, à encourager les acteurs nationaux à se concerter afin de mettre un terme à l’impasse électorale. Pendant la période considérée, la tension qui règne entre le pouvoir exécutif et le Parlement a fait obstacle à l’adoption d’un programme législatif consensuel, autre indicateur clef de gouvernance. Cette situation a empêché d’avancer sur la voie des réformes législatives capitales telles que la loi contre le blanchiment d’argent, la loi sur le financement des partis politiques et la révision du code pénal et du code de procédure pénale.

En conclusion, Haïti se trouve à un tournant critique. En effet, les progrès enregistrés dans les domaines de la sécurité et de la stabilisation, ainsi que les efforts concertés du Gouvernement Martelly/Lamothe en faveur du développement socioéconomique pourraient être compromis par une instabilité résultant de la polarisation liée à l’impasse électorale. La MINUSTAH, en étroite consultation avec ses partenaires internationaux, poursuit son travail afin de convaincre les interlocuteurs nationaux qu’un consensus politique minimal, qui permette la tenue des élections le plus tôt possible, ainsi qu’un accord portant sur la continuité des institutions, est dans leur meilleur intérêt ainsi que celui de la nation.

À cette fin, l’intérêt démontré par les intervenants nationaux en faveur d’un dialogue comme moyen d’entente est une raison de demeurer optimiste, et devrait être encouragé. Une initiative de médiation, ainsi que nos efforts intensifiés de promotion du dialogue entre les acteurs nationaux, pourrait constituer la base d’un processus intra-haïtien qui serait capable de surmonter l’impasse actuelle et de prévenir une crise potentielle, laquelle pourrait avoir une incidence sur la stabilité du pays.

La recherche de moyens visant à faciliter le dialogue et le consensus entre les Haïtiens est un facteur indispensable, à l’heure de construire un pays à même de fonctionner en toute autonomie, avec des institutions démocratiques qui apportent des réponses concrètes face aux nombreux défis qu’il reste à surmonter, et pour permettre à Haïti de sortir de la crise institutionnelle cyclique qui caractérise le pays – et qui l’a souvent paralysé.