Mizou : Une femme, une histoire

17 déc 2015

Mizou : Une femme, une histoire

Photo: Pierre Jerome Richard UN/MINUSTAH

 

Chapeau de paille sur le crâne, houe à l’épaule gauche, une machette à la main droite, pieds nus, Marie Denise Dorléans alias Tante Mizou, prend la direction de son jardin qu’elle va « nettoyer ». Entendez par là enlever les mauvaises herbes nuisibles à la bonne santé des denrées mises en terre.

Aujourd’hui âgée de 60 ans, cette dame mince de haute taille, aux joues enfoncées par les aléas de la vie, subvient pratiquement seule à ses besoins, « aucun des hommes qui m’approchaient dans ma jeunesse ne semblaient plaire à ma maman qui ne les trouvaient pas assez bien pour moi», confie-t-elle avec un ton rêveur

« Révoltée par cette situation », Mizou alors âgée de 30 ans avait pris la décision de quitter le cocon familial pour se rendre à Port-au-Prince, où elle a travaillé comme employée de maison.

Après environ cinq ans, l’enfant prodigue regagne le toit familial, à Colladère, une section communale, située à environ 20 minutes de voiture au nord de la ville de Hinche. Cependant, elle n’est plus seule. Un garçon de 22 jours l’accompagne.

 « Ne pouvant plus contenir mon  émoi, je suis partie avec mon bébé », dit-elle, sans aucun signe de regret. Avec le père de l’enfant, elle avait rompu toute relation alors qu’elle était en pleine grossesse. « Au moment de me faire la cour, cet homme prétextait qu’il était célibataire. Pourtant il avait déjà une famille », raconte Mizou, la voix encore pleine d’émotion.

Au bout d’un an, sans aucune nouvelle du « monsieur », elle reçoit la visite  de ce dernier qui voulait « officiellement »  reconnaitre l’enfant.

Sa démarche consisterait à entreprendre des démarches sociales et légales pour la reconnaissance de l’enfant… « Je ne lui ai pas donné cette chance », a déclaré la dame avec une pointe de fierté mêlée d’une certaine révulsion.

L’autonomie, oui !... mais, à quel  prix ?

 

Photo: Pierre Jerome Richard UN/MINUSTAH

 

Voulant maintenant prouver sa capacité à prendre soins d’elle-même et de son enfant, Mizou n’a pas lésiné sur les moyens jugés loyaux pour y parvenir. Cultiver la terre, pratiquer l’élevage, faire le commerce, rien ne semblait trop noble ou trop dur aux yeux de cette jeune mère déterminée à gagner le respect des autres en particulier de sa famille à tout prix.

À dos d’âne, en camion ou à pieds, transportant parfois ses marchandises sur sa tête, elle voyageait d’un marché à un autre, d’une commune à une autre, telles Thomassique, à 40 minutes de conduite, Pignon, 30 minutes, Cerca Cavajal, 35 minutes et la Victoire à 37 minutes de sa communauté. Des trajets réalisés non sans peine sur des pistes en terre battue, défoncées, rocailleuses ou parfois boueuses dépendamment de l’époque de l’année.

Débrouillarde et économe, avec les petites épargnes réalisées durant son séjour à la Capitale, elle avait donc lancé un petit commerce.

« À cette époque, le commerce marchait vraiment bien », estime Mizou soulignant qu’elle vendait un peu de tout en termes de produits alimentaires : riz, haricots, hareng, spaghetti, savon de lessive etc. 

« On pouvait aller au marché, vendre les produits, et tout de suite on pouvait avoir une idée claire du capital et des bénéfices », précise-t-elle. Cette détaillante déplore que « de nos jours tout est différent. Les choses sont de plus en plus difficiles », lâche-t-elle d’un air désolé. Pour renflouer son bricolage, Mizou était obligée de contracter des prêts dans des bureaux de micro-crédits, qu’elle arrive difficilement à rembourser à cause du taux d’intérêt excessivement élevé. Sans oublier la faiblesse de la demande due notamment au fait que beaucoup de personnes offrent les mêmes services ou des produits similaires.

Mais aujourd’hui, elle ne sent plus le courage d’aller aux marchés comme au temps de sa jeunesse. « Je vends chez moi, tout en continuant à m’occuper de mes champs », affirme-telle avec un large sourire

 

 

« Seule, j’utilise un attelage de bœufs pour labourer le sol et  préparer ma plantation», indique Mizou. Au moment du nettoyage, donc d’enlever les mauvaises herbes, elle loue sur une base journalière, les services d’une équipe de travailleurs du quartier. Et, cette même pratique peut également servir au moment de la récolte. « À moi seule, je dispose de deux carreaux de terre ». Pour les exploiter, elle faisait appel à certains travailleurs locaux qu’elle embauchait  souvent pour une journée, au moment des grands travaux comme le labourage ou la préparation avant l’ensemencement.

Pour être sure que rien n’est négligé, elle s’était depuis toujours bâti un horaire, à savoir deux jours par semaine, lundi et mercredi pour aller au marché et les autres jours de la semaine, le dimanche excepté, pour s’occuper de ses champs.

 

La famille comme planche de salut

 

Photo: Pierre Jerome Richard UN/MINUSTAH

 

À l’instar de toute bonne paysanne ou femme rurale digne de ce nom, cette femme rectiligne n’avait aucune crainte, aucun complexe quant à son statut femme rurale. Une étape qu’elle préparait alors qu’elle était à Port-au-Prince. En effet, elle avait gardé contact avec sa mère à qui elle envoyait de l’argent pour l’acquisition de bétail. Aujourd’hui, elle déclare pouvoir encore miser sur cette ressource.

 « Par exemple l’année dernière j’ai acheté trois cochonnets pour 2000 gourdes (environ $ 40 américains), récemment environ un an plus tard, j’en ai vendu deux pour 10000 gourdes ($200 américains). J’en ai encore un en réserve », raconte fièrement cette femme qui se félicite d’avoir des proches sur qui elle peut compter.

Pour pouvoir mieux s’occuper de ses activités et surtout garantir l’éducation de son fils, Man Mizou envoie ce dernier depuis l’âge de trois ans chez une sœur, Bernadette qui, elle, habite au centre-ville de Hinche. « Ma sœur était pour lui une autre mère. Moi, je n’apportais que de l’argent et de la nourriture ». Ce qu’elle essayait de faire presque chaque deux samedis, jours de marché.

Réussir sa vie de couple

Après 12 ans à s’occuper seule de son fils et ses activités économiques, Tante Mizou a rencontré son âme-sœur. Mariée alors qu’elle avait environ 47 ans, cette expérience n’aura duré que quatre années. Raisons, le mari était loin d’être fidèle, ou monogame.

 « Il aimait le plaisir, et fréquentait d’autres femmes. Et moi, je refuse de vivre ce genre de relations », estimant que partager un homme avec une autre femme est insupportable. Et, cela ne l’a pas dérangé, puisque « j’en ai l’habitude », soutient celle qui ne semble éprouver aucun remords d’avoir vécu seule, sans homme, la presque totalité de sa vie.

 

 

Encore seule à subvenir aux besoins de sa famille monoparentale, elle doit aujourd’hui économiser de manière à pouvoir transférer des fonds à son fils, actuellement en République dominicaine pour des études, à l’instar de centaines de jeunes Haïtiens.

Seule avec sa houe et sa machette, Mizou poursuit son chemin avec en tête le souci d’assurer à son fils une vie descente, digne d’une mère ayant su gagner le respect de tous, surtout des hommes qui ont toujours admiré son courage et sa détermination.

 

Rédaction : Pierre Jérôme Richard