Nigel Fisher: La création d’emploi, la priorité des priorités pour Haïti

12 juil 2013

Nigel Fisher: La création d’emploi, la priorité des priorités pour Haïti

A la veille de son départ après quelque 3 ans et demi dans le pays, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti par intérim, Nigel Fisher se confie au micro de MINUSTAH FM.

Logan Abassi - UN/MINUSTAH Victoria Hazou - UN/MINUSTAH

Dans sa dernière interview à la tête de la Mission onusienne, M. Fisher revient sur les progrès accomplis depuis le séisme et ses espoirs pour le futur notamment en matière de création d’emploi et d’état de droit.

MINUSTAH FM : M. Fisher, à l'approche de votre départ, nous voudrions vous remercier d’avoir pris le temps de venir nous parler, sur les ondes de MINUSTAH FM.

Nigel Fisher : Mesi anpil (merci beaucoup) de m’avoir reçu sur les ondes de MINUSTAH FM. Je voudrais remercier non seulement les auditrices et auditeurs mais aussi, à travers eux, tous mes amis haïtiens qui m’ont aidé à naviguer les complexités d’Haïti et sa richesse culturelle.

A l’heure du départ, quels seraient selon vous les 3 principaux dossiers d’importance pour Haïti ?

Si je devais souligner 3 principaux domaines d’action qui peuvent contribuer au bien-être des Haïtiens, ce seraient : l’ETAT DE DROIT - et en particulier la JUSTICE - l’emploi et le dialogue politique.

Pouvez-vous développer pour nos auditeurs ?

Oui, surement. En ce qui concerne l’Etat de droit, il faut qu’il y ait un système judiciaire qui fonctionne. C’est-à-dire que la justice doit être fonctionnelle, accessible et indépendante. Sans justice, tous les autres domaines ne fonctionneront pas.  Par exemple, la MINUSTAH et d’autres partenaires internationaux soutiennent le renforcement de la PNH. Si la loi est appliquée, si la police arrête les malfaiteurs, et si les prisons sont remplies encore plus…  mais s’il n’y a pas de procédure judiciaire, alors, qu’allons-nous faire ? Les incarcérés resteront en prison en attendant leur jugement, sans savoir pour combien de temps.

En revanche, le bon fonctionnement du système judiciaire permettra un accès à la justice pour tous, victimes comme accusés, par un jugement équitable et dans les meilleurs délais. Et ce, conformément à la loi.

Vous avez aussi mentionné l’emploi – quels sont vos espoirs pour Haïti et le peuple haïtien dans ce domaine ?

Les statistiques montrent que 4 Haïtiens sur 5 vivent dans la pauvreté – et ces jours-ci, leur vies sont mises à risque par l’exposition à l’insécurité alimentaire aigue. Si je parle de l’emploi, je pense à ces Haïtiens – la grande majorité de la population - qui ne veulent pas être des mendiants, mais qui veulent travailler.

C’est la raison pour laquelle nous devons tous nous mobiliser pour que cela ne continue pas ainsi. Il faut plus de création d’emploi, avec surtout des programmes qui se concentrent sur les travaux publics.

La création d’emplois pour la majorité des haïtiens demeure un défi majeur. Un investissement accru dans la production rurale agricole, la protection de l’environnement, le renforcement de l’infrastructure routière, ou la protection des bassins versants. De telles initiatives pourraient être des vecteurs de création d’emploi.  A cela, on pourrait ajouter la mise en place de programmes de protection sociale basés, comme au Brésil et en Colombie, sur des transferts conditionnels d’argent aux familles les plus dépourvues.

Tout cela, ce sont des possibilités qui doivent être étudiées. Mais ce que je sais, c’est que 4 personnes sur 5 se réveillent tous les matins en se demandant si elles vont pouvoir nourrir leurs familles pendant la journée – jour après jour, semaine après semaine. Alors plus d’efforts et d’énergie doivent être fournis pour que cela fasse partie du passé. Beaucoup reste à faire, mais si vous me demandez ma liste de priorités, l’emploi figurerait en tête. Et je sais que les partenaires internationaux d’Haïti appuieraient  une initiative nationale majeure pour la création de l’emploi.

Depuis le premier jour où j’ai été en Haïti, je suis touché par les conditions de vie des Haïtiens,  et particulièrement des enfants. Comme vous le savez, je suis ici depuis plus de 3 ans et demi. J’ai eu la chance d’avoir été témoin, au cours de cette période, de progrès considérables, qui ont été conduits suite aux efforts consentis par le Gouvernement et le peuple haïtiens. Ainsi, j’aimerais justement profiter de cette occasion pour féliciter l’Etat et le peuple haïtien sur les avancées faites depuis le terrible tremblement de terre survenu en Janvier 2010.

Quelles sont pour vous les avancées significatives depuis le séisme ?

Il y en a beaucoup. Je me souviens encore, lorsque je suis arrivé quelques mois après le séisme, que le pays était dans un tel état de désolation qu’il était difficile d’imaginer que des élections démocratiques pourraient être organisées ; que la constitution pourrait être amendée; que le Conseil Supérieur du Pouvoir Judicaire (CSPJ) serait mis en place ; que les tonnes de débris qui jonchaient les rues de Port-au-Prince et les autres lieux affectés par le séisme seraient enlevées; que 80% des déplacés qui s’étaient réfugiés sur les places publiques ou autres terrains seraient relogés; que des routes seraient refaites et des panneaux solaires installés sur les grandes artères de la capitale et dans certaines villes de province. Je pourrais donner encore une quantité d’autres exemples autant significatifs les uns que les autres.

Vous avez parlé de dialogue comme l’une des 3 priorités. Que voulez-vous dire par là ?

Au niveau politique, le dialogue est crucial, pas seulement dans le cadre des élections qui sont nécessaires pour tout pays démocratique, mais aussi pour l’avenir de la Nation. J’ai entendu des acteurs politiques de tous les côtés, de la société civile et du secteur privé à tous les niveaux, que les haïtiens veulent le dialogue – un dialogue authentique.

Sans un dialogue vrai, comment peut-on avoir des partis politiques forts, un parlement fort, et un gouvernement fort? Le dialogue est crucial dans une Nation à la recherche de la stabilité et de la démocratie.

Le peuple haïtien mérite d’être entendu et représenté dans l’élaboration de ce dialogue.  Il ne doit pas être limité; il doit permettre qu’un consensus se forge suite à une large consultation de la société haïtienne, afin que la voix de la population soit entendue. Le consensus dont je parle implique le pluralisme, le respect de points de vue différents, le respect de l’espace politique accordé aux autres, le respect des minorités, aussi bien que le mandat de la majorité. Je réitère que l’expérience des partenaires du Sud, surtout en Amérique latine et centrale, pourrait être très utile à Haïti en ce sens.

Pour conclure, M. Fisher…

Bien, j’ai parlé de trois dossiers principaux. Mais si je pouvais insérer un 4ème point, ce serait celui de la gestion des fonds publics qui, je pense, est très important pour Haïti. Par exemple si je parle du besoin de budget unifié, une gestion appropriée des contrats publics, une augmentation des revenus nationaux tirés de la perception des taxes, des droits des douanes, du paiement des redevances comme la fourniture d’électricité par l’EDH. Une gestion transparente et moderne pourrait beaucoup renforcer la bonne gouvernance et le respect pour les institutions de l’Etat

Terminons sur une note personnelle, M. Fisher – que pouvez-vous nous dire de vos 3 ans et demi  passés en Haïti ?

Ce furent des années incroyables, émouvantes – il y a eu des crises : le terrible séisme du 12 janvier 2010 et ses conséquences, le fléau du choléra, des orages et des inondations, et même des orages politiques… mais il est important de répéter que beaucoup a été fait, nous avons des institutions renforcées, il y a plus d’investissement. Mais beaucoup peut et doit encore être fait de manière à ce que les conditions de vie de la majorité des haïtiens puissent être améliorées; qu’ils aient une voix, qu’ils soient entendus dans le processus politique… et qu’ils aient l’opportunité de travailler afin de nourrir et éduquer leurs enfants et préparer un avenir meilleur.

Ce que je peux espérer pour Haïti, c’est que, tous ensemble, les Haïtiens capitalisent sur les progrès accomplis et que, tous ensemble, ils puissent prendre le chemin continu d’un dialogue inclusif pour un lendemain démocratique. Afin que les enfants de demain ne vivent pas les difficultés d’aujourd’hui et d’hier.

Et pour nous, les partenaires internationaux, nous devons faire de notre mieux pour accompagner Haïti dans le renforcement de la sécurité pour chaque citoyenne et citoyen, pour renforcer l’état de droit, pour faciliter la participation des citoyens dans la vie politique, pour améliorer la vie économique et les services sociaux.

Et pour MINUSTAH? Notre succès, ce sera notre retrait d’un Haïti bien gouverné, avec un état de droit assuré, un système de politique nationale inclusive et démocratique – tous des éléments nécessaires pour un Haïti démocratique où chaque jeune haïtien a l’opportunité de travailler, de vivre et d’élever ses enfants.

Regardez la galerie photo