OMD 1 : Pour combattre la misère, elles vendent des biscuits d’argile

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3 nov 2014

OMD 1 : Pour combattre la misère, elles vendent des biscuits d’argile

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAHPhoto : Logan Abassi - UN/MINUSTAH


Certes, Haïti est un pays pauvre. En dépit de cette réalité, des particuliers utilisent parfois des moyens peu habituels pour survivre. C’est le cas de ces fabricants de biscuits d’argile à La Saline, quartier populaire de Port-au-Prince.

Assise à même le sol, les pieds allongés sur le macadam, Rosiane Colas, 49 ans, entame la dernière étape de la fabrication de ses biscuits d’argile : les exposer au soleil.

Contre son pied gauche s’appuie un récipient à moitié vide pouvant contenir 25 litres. De ce teneur, elle remplit soigneusement une cuillère d’une substance jaunâtre épaisse. Puis elle étale avec adresse sur un long morceau de tissu peu propre, le contenu, dessinant ainsi une forme ronde de deux centimètres d’épaisseurs, sur une superficie qui avoisine celle d’un disque compact.

« On a rien à faire ici. La conjoncture est très difficile. Personne ne pense à nous. Donc, nous sommes obligées d’inventer cette activité pour ne pas sombrer dans la misère », explique Rosiane, imperturbable devant l’étalage de sa précieuse terre mouillée.

Ici, à l’ombre de l’ancienne prison de Fort-Dimanche où des prisonniers politiques étaient autrefois détenus, dans ce quartier pauvre de Port-au-Prince, le mixage et la vente de la terre argileuse sont pratiqués pour affronter, dans une certaine mesure, l’extrême pauvreté. « J’ai commencé ce commerce en 1997. Un ami me l’a conseillé. Je n’avais pas d’autre issue. Il me rapporte peu, mais je ne peux pas rester sans bouger », raconte Monique, mère de cinq enfants, détachant de ses doigts des résidus du mélange.

La marchandise est un alliage d’argile, d’eau, de sel et de beurre. La boue ainsi obtenue est préalablement filtrée dans un morceau de tissu mince. A cette étape, on y extrait le gravier et tout ce qui peut nuire à la finesse de la substance.

A cinq gourdes (0,10 dollar américain) pour trois unités, Rosiane et Monique arrivent à peine à gagner 100 gourdes (2,16 dollars américains) sur les 300 gourdes (6.48 dollars américains) dépensées pour l’acquisition des 50 kilogrammes d’argile, la matière première.

Alors que Monique et Rosiane continuent leur étalage, à quelques mètres, sous des bâches salles cachant à peine le soleil, une sexagénaire s’assied. Marie Pierre mixte avec sa main droite, la boue en attendant l’espace libre pour faire sécher à son tour ses tablettes au soleil.

Comme pour ses collaboratrices, sa journée de travail commence à 5h00 du matin depuis 2001. Elle explique ses motivations et les difficultés qu’elle rencontre pour produire et vendre ses biscuits d’argile.

 

 

L’endroit où sont exposées les tablettes au soleil est loin de respecter les normes élémentaires d’hygiène. L’ancien terrain de basket de l’institution mixte La Saline est entouré d’eau puante de couleur verdâtre. Des ordures de toutes sortes, dégageant une odeur nauséabonde, font les délices des porcs et des chiens qui viennent de temps en temps rendre une petite visite.

Pourtant, les tablettes en terre cuite, comme n’importe quel biscuit, vont être consommées. « En général, bon nombre de femmes enceintes en raffolent. J’avoue, d’autres personnes les dégustent, compte tenu de leur situation de vulnérabilité. D’autant plus que les tablettes ne coûtent pas chères. A cause de la margarine et du sel contenus dans les plaquettes d’argile, quelqu’un qui en consomme va certainement sentir le besoin de boire une bonne quantité d’eau. Ce qui aura la vertu de calmer sa faim », admet Serandieu Jonas, un jeune du quartier, un peu embarrassé.

« On dit que des particuliers les achètent pour faire des assiettes et des bibelots qui seront vendus en République Dominicaine », renchérit Loubens, 27 ans, dont la maman est impliquée dans le commerce des tablettes en argile.

Les jeunes hommes discutent encore entre eux alors que les femmes continuent à travailler. Des centaines de plaquettes d’argile sont déjà alignées au soleil. Elles doivent être séchées et ramassés pour ensuite être vendues sur le marché. « Si la pluie vient, on va tout perdre », lâche madame Pierre, inquiète. En fait, toutes les tablettes vont se fondre pour redevenir de la boue et couler dans les marres d’eau d’à côté.

Rédaction : Jean-Etiome Dorcent - UN/MINUSTAH

 

 

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH