Prison civile de Pétion-Ville, les détenues commémorent le 8 mars

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9 mar 2014

Prison civile de Pétion-Ville, les détenues commémorent le 8 mars

Des cris de joie, des groupes de danse, des défilés de mode, des discours, des prières mais aussi des pleurs à la prison des femmes à Pétion-Ville, à l’occasion de la journée internationale de la femme ce samedi. Les 267 détenues ont eu une longue recréation alors que d’ordinaire elles n’ont qu’une petite heure.

A.A.Goulgue-UN/MINUSTAH Photo: A.A.Goulgue-UN/MINUSTAH

Le 8 mars est un jour de fête à la prison civile de Pétion-ville mais le grand portail bleu de la prison est resté comme d’habitude fermé ce samedi. « La fête se passe en vase clos. Les invités à la cérémonie devaient se faire identifier par des gardes sur leur garde.

A 9 heures de la matinée, la cour de la prison est calme. Les détenues sont restées internées dans leurs cellules.
L’arrivée de Mgr Kennel, le célébrant de la messe d’ouverture donne un coup d’accélérateur à la manifestation.
Les portes des cellules s’ouvrent. Les détenues se dirigent vers l’arrière-cour, lieu de la cérémonie.

La messe est émouvante. Un mélange de recueillement, de pénitence en ce début de carême, mais aussi de défoulement et d’espoir. Le passage de l’Evangile proclamé rappelle aux détenues que « ce ne sont pas les personnes bien portant qui ont besoin du médecin mais les malades ». Une Invite à confier leurs souffrances à Dieu et d’espérer la délivrance.

L’émotion est à son comble lors de l’incantation animée par le célébrant en vue d’intercéder auprès de Dieu.
Chaque détenue devait faire monter sa prière vers Dieu. Un cantique est chanté à voix basse ou en sourdine.
La voix de Mgr Kennel, d’une solennité parfaite aide l’assemblée à se concentrer. Les visages deviennent sombres, les yeux ses ferment, on se frappe la poitrine en guise de culpabilisation.
Dans la tradition catholique, le croyant, avant de solliciter la grâce de Dieu, doit se reconnaitre pécheur et demander pardon.

Sur instruction de l’évêque, des bras se lèvent vers le ciel en signe de détresse. « Répétez après moi dans foi [Bon Dieu, délivre moi de cette prison] ». La foule des détenues répète en chœur. Des reniflements, des mouchoirs sortent des poches pour essuyer les larmes. Puis un cri se fait entendre, ceux d’une détenue qui ne peut contenir son émotion.

IMG_1325 Photo: A.A.Goulgue-UN/MINUSTAH

En termes de promesse, la Directrice de l’administration pénitentiaire a annoncé la construction d’une seconde prison de femmes qui devait décongestionner l’actuelle prison.

La MINUSTAH et ses partenaires d’exécution-Terre des hommes et la DAP-ont annoncé le démarrage d’un projet devant réhabiliter les détenues par une gamme d’activités, telles que la gestion du stress et l’apprentissage de métiers qui permettent aux anciens détenues de se réinsérer dans la vie.

Le reste de la commémoration est consacré à la détente et il y avait de l’animation musicale. Des titres bien connus du public retentissaient dans cette cour habituellement silencieuse pour aider les détenues à oublier leur quotidien carcéral. De petits groupes de danse se constituent spontanément et l’ambiance est bon enfant.

A.A.GOULGUE-UN/MINUSTAH Photo: A.A.Goulgue-UN/MINUSTAH

« Cette musique me rappelle l’année 2009 où j’étais encore chez moi. Je l’ai dansée pour la dernière fois lors de mon anniversaire que j’ai fêté avec mon copain, mes parents et amis », se souvient Ashley en mimant des pas de danse.

Plus loin dans un coin, une autre détenue se tient à l’écart. Elle n’a pas le cœur à la fête. « Je ne peux pas danser parce que j’ai mal à la tête », dit-elle avant d’ajouter hésitante : « je suis ici mais mes pensées vont vers mes deux enfants et mon mari ». Elle a été arrêtée il y a quatre mois et peine à s’adapter à la vie carcérale. « A vrai dire, j’ai été prise la main dans le sac », dit-elle angoissée.

Selon le code des procédures criminelles haïtien, l’auteur d’un flagrant délit devrait être jugé immédiatement. Apres quatre mois, elle n’est pas présentée au juge et coure le risque de passer des années en prison sans être jugée à l’instar de la majorité des prévenues de Pétion-Ville.

Une troisième détenue tente de fuir l’ambiance en portant un casque accroché à un transistor. « Je préfère écouter la radio puisque cette fête ne m’ttire pas », dit-elle avec indifférence.

Elle a été condamnée à dix ans de prison et en a purgée sept. Les trois ans qu’il lui reste est de la mer à boire. « J’ai un enfant que j’ai laissé derrière moi depuis 2007, vous comprenez ce que je ressens », s’exclame-t-elle.

IMG_1351 Photo: A.A.Goulgue-UN/MINUSTAH

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Le coté culturel de la célébration est réservé au défilé de mode, à la présentation des sketches et à l’interprétation de chants. Cette dernière activité a été sanctionnée par une remise de prix aux meilleures détenues artistes ayant à leur tête Zezila désignée la meilleure artiste de la prison. Elle se dit heureuse de remporter ce prix mais sa désolation reste entière pour le sort qui lui est réservé. Elle attend son jugement depuis quatre ans et risque de fêter les prochaines journées de la femme en prison.

La remise des prix met un terme à la longue recréation de cinq heures et renvoie les détenues dans leurs cellules. Les geôliers reprennent vite du service en ouvrant grandes les portes des cellules.

A l’aide de gros cadenas, ces policiers de la DAP frappent avec frénésie les barreaux pour signifier aux détenues que la recréation est belle et bien terminée.

Antoine Adoum GOULGUE