Quand la justice haïtienne fera parler les morts...

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

28 aoû 2015

Quand la justice haïtienne fera parler les morts...

Port-au-Prince – 28 Août, 2015 « J’ai actuellement le cas d’un substitut pointé du doigt dans le meurtre par balle d’un citoyen. Certains prétendent que la victime aurait reçu trois balles, d’autres parle d’un seul projectile, et moi j’ai besoin que la lumière soit faite sur le dossier », déclare Me Rosny Paul Antoine, chef du Parquet des Gonaïves. Pour pouvoir surmonter ce « blocage très sérieux » qui entrave son enquête, le magistrat n’entend pas se passer de cet « outil important dans le travail des Parquets » que constitue l’Institut médico-légal (IML). Il a donc accepté de parcourir trois heures de voiture environ pour venir à l’IML, Port-au-Prince, déposer en personne une requête en vue de l’expertise d’un médecin légiste. Car, estime-t-il, « dans la poursuite pénale sérieuse, en matière de crime, l’IML est déterminant, pour venir à bout de certaines failles que nous rencontrons dans le traitement de certains dossiers ». Si les médecins légistes, donc spécialistes pratiquant la Médecine légale, sont surtout connus pour la réalisation d’autopsies, leur champ d’action va bien au-delà, selon Dr Jean Armel Demorcy, directeur général de l’IML. « La médecine légale étant la médecine de la violence » par excellence, elle a son rôle à jouer dans tous les cas de violence; que la personne l’ayant subi soit morte ou vivante.  

  « Le code d’instruction criminelle daté de 1815 est clair. En ses articles 33 et 34, il stipule que dans tous les cas suspects ou bien de morts violentes, le commissaire du gouvernement doit se faire accompagner d’un médecin, ou d’un chirurgien pour faire le constat des lieux, permettant à la justice de déterminer les causes et les circonstances du décès », fait remarquer le médecin. Il est donc, selon lui, « impossible » pour des juges de travailler correctement sur des dossiers sans l’IML. « Je viens de parler de levée de corps, ce sont des éléments de preuve, si on n’a pas de preuves, on ne peut pas condamner », a-t-il martelé. Et, c’est souvent ce manque de preuves qui empêche la justice de statuer correctement sur de nombreux cas, estime pour sa part Me Miguélite Maximé, avocat et Inspecteur général de la Police nationale d’Haïti, PNH.Et, le fait que de nombreux criminels soient restés en liberté, souligne l’homme de loi, « encourage l’impunité ». C’est donc dans le but d’éviter ce genre de situation que depuis 2008 la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, MINUSTAH, apporte son appui au renforcement de cette institution.

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

 

Cet appui devait faciliter la relance des activités de cette institution rendue dysfonctionnelle en 2008 par un manque de budget. Démarré quelques mois plus tard, il a donc pris plusieurs formes: technique, financière et matérielle. Et l’appui en matériels à lui seul avoisine les 600,000 dollars américains. La Mission a aussi aidé les autorités haïtiennes dans la recherche de partenaires, tel l’Agence Américaine de Développement International (USAID), pouvant financer des activités de l’institution. Lesquelles activités ont officiellement repris en juillet 2015 dernier. Doté de matériels nécessaires à son fonctionnement, l’IML doit aujourd’hui combler une carence en ressources humaines, a laissé comprendre Dr Demorcy. Car, déplore-il, depuis la mise en place de l’institution en l’an 2000, deux médecins seulement y sont affectés. Et, ils doivent desservir les 10 départements géographiques du pays. Ainsi, émet-il le vœu que chaque département ait au moins deux médecins légistes. Soulignons que, dans le cadre de l’appui fourni par la MINUSTAH, des structures aptes à faciliter la pratique de la médecine légale existent déjà dans au moins trois autres régions d’Haïti, à savoir Les Cayes dans le Sud, les Gonaïves dans l’Artibonite, et Hinche dans le département du Centre, Fonctionnant dans les locaux de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), à Port-au-Prince, dans le département de l’Ouest, l’IML est placé sous la tutelle du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) et du ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP).       Texte : Pierre Jerome Richard