Une autre vie à Carrefour la Mort

Photo : Logan Abassi - UN/MINUSTAH

15 juin 2015

Une autre vie à Carrefour la Mort

« Je l’emmène chez moi. Même si sa bouche coule souvent de l’eau, je l’embrasse, je lui accorde de l’amour, de l’attention. Je la considère comme ma fille », raconte Marie Carmelle Laguerre, l’employée qui s’occupe de Priscaelle Malgré son âge - environ 10 ans - et son développement physique, cette fille demeure encore, dans ses attitudes, un bébé. Assise dans sa chaise roulante, Priscaelle tend la main à toute personne passant près d’elle. Quand elle vous tient la main, elle ne la lâche pas. Quatre jours par semaine, elle bénéficie, à l’instar d’une centaine de ces petites personnes vivant avec un handicap, soit physique, soit mental, de séances de thérapie que la ‘’Maison de Bénédiction’’ leur offre « par relève », ou bien par groupes, comme l’explique Madame Nancie Valestin, chef de service, à cet établissement. Située à proximité de ‘Carrefour La Mort’, Quartier Morin, une banlieue de Cap-Haitien, dans le nord d’Haïti, cette maison d’accueil tente de redonner la vie à des enfants, pour la plupart abandonnés ou laissés à la merci de la mort par leurs parents. La vision de ceux qui ont mis en place ce centre était de parvenir à faire que les gens, notamment les parents n’aient plus honte de leurs enfants, explique Grace Greene, coordonnatrice de programmes à Haïti Hospital Appeal (HHA), une ONG associée à la Convention Baptiste d’Haïti, CBH, à l’origine du Centre. Il est donc question «  d’encourager les femmes à garder leurs enfants, spécialement ceux naissant avec un handicap, à ne pas les laisser tomber, ni à les donner dans des orphelinats », fait remarquer cette jeune Américaine. Pour retrouver les jeunes patients, et sensibiliser leurs parents et les communautés, le centre a dû mettre en place une équipe de ‘réadaptation’, qui a parcouru différentes zones et communes du Nord à la recherche de ce genre d’enfants. Comme l’explique Madame Valestin, « les membres de cette équipe ont fait des annonces dans les églises par exemple, discuté avec des communautés, réalisé des séances de sensibilisation, leur avons parlé de ce que nous sommes de ce que nous aimerions faire. Après les avoir trouvé, certains avaient par exemple besoin de thérapie, nous les avons orienté ; et satisfait du service, ils ont eux-mêmes envoyé d’autres gens. Et, au fur et à mesure, nous avons recensé jusqu’à présent plus d’une centaine », confie cette infirmière. La Maison de Bénédiction offre aussi aux familles la possibilité de prendre soin de leurs enfants au sein de la structure familiale, en leur fournissant un soutien moral et même économique. « Des fois à la maison quand il y a de l’électricité, j’ouvre la radio ; elle entend la musique, elle fait tout pour bouger son corps. Quand je lui donne à manger je dois m’assurer que sa tête ne soit trop penchée à l’avant ou à l’arrière », explique la nourrice qui accorde «  beaucoup de patience et d’attention » à sa protégée. 15 minutes après avoir mangé, Priscaelle peut boire son jus ou de l’eau. Apres quoi, vers 10 heures du matin, ce qui coïncide avec l’heure de la thérapie dont elle bénéficie au centre, sa ‘mère’ la porte hors de sa chaise pour la déposer au sol pour lui permettre de « s’étirer, s’allonger un peu ou même jouer ».  

  A la mi-journée, soit vers 13 heures, c’est l’heure du lunch. Mais avant Marie Carmelle confie : « je dois la laver, changer sa couche, et lui mettre des habits propres ». Sachant qu’elle ne parle ni ne marche, « elle occupe presque tout mon temps. Je ne peux même plus aller à l’église comme j’en avais l’habitude », soupire-t-elle. A l’aide de chants évangéliques, Madame Valestin, infirmière de profession, aidée de deux autres collègues femmes, utilisent tout ce qu’elles ont comme talents pour faire profiter de la vie à ces patients qui ne cessent de bondir, voltiger, rouler, ramper ou roucouler dans le cadre de séances de thérapie organisées à l’ombre d’arbres dans la cour de l’établissement. Sur leurs chaises roulantes, assis par terre, allongés sur un tapis, ou à même le sol, ces petits êtres réagissent avec application aux sons et gestes de leurs monitrices. « C’est au cours d’une de ces séances de thérapie que j’ai su que ma petite fille est née aveugle », raconte Miriana Altidor, jeune femme dont la fille marche sur la pointe des pieds, n’ayant jamais réussi à déposer la plante sur le sol. Selon cette femme, l’enfant avait seulement trois jours lorsqu’elle a été atteinte d’une crise qui, d’après des médecins, était provoqué par un excès de sang dans le corps. « Ce n’est qu’après qu’on lui ait enlevé du sang qu’elle a présenté plusieurs symptômes d’apparence anormale comme le fait que son cou ne puisse tenir sa tête ou qu’elle ne puisse s’asseoir correctement », soutient-elle. S’adapter à la manière d’être des enfants Pour se baigner, se nourrir, s’habiller, ces enfants aux besoins physiques et mentaux spéciaux. ‘’Je fais preuve de beaucoup de patience avec eux, car Dieu seul sait, j’aurais pu être comme eux’’, souligne Marie Lina, qui vient de déposer sur une étagère à la salle d’attente trois ou quatre petites bouteilles de médicament. Quoique ménagère, elle aide parfois à laver les enfants. « J’aide à les faire manger », confie cette mère de famille à la voix tendre. Même rémunérée, la tache reste « difficile », raconte Florina Louidor, sexagénaire en poste depuis six ans, tout en enlevant sa paire de gants. Pas besoin de vous dire qu’elle s’occupe de la propreté de ces petits êtres presqu’à 100% dépendants. La plupart d’entre eux ont des difficultés à mâcher, d’autres à avaler, « il est donc nécessaire de faire passer la nourriture au Blender et même dans un passoir pour être sure qu’ils peuvent l’avaler », explique pour sa part Simone, debout dans la cuisine, grande cuillère en aluminium à la main droite, s’affaire à préparer le repas de la mi-journée. De la main gauche, elle réduit le niveau de son four à gaz. « A côté de tout ça,  ajoute-elle, ces enfants ont des gouts très divers et variés qu’il faut satisfaire ; ce qui rend la tâche encore plus difficile. A mesure que les enfants arrivent à la ‘Maison’, il faut donc s’adapter. En ce sens, le personnel reçoit de temps en temps des formations dans des domaines divers touchant tant à la nutrition, aux   soins sanitaires ou à l’hygiène. « Je fais tout pour m’adapter à leur manière d’être », soutient-elle. Depuis son ouverture en 2009, ce centre de « répit », supporté par la MINUSTAH à travers la HHA, utilise les soins de santé, la musique, et d'autres activités connexes afin d'améliorer la vie des enfants.   Rédaction : Pierre Jérôme Richard