« Tap tap » : l’art sur roues haïtien

13 mai 2013

« Tap tap » : l’art sur roues haïtien

En Haïti, prendre le bus relève presque de l’expérience artistique. Moyen de transport le plus répandu en Haïti, les « tap tap » sont des petit bus entièrement peints et sculptés d’effigies religieuses et vodous ou de personnages publics. Découverte d’un art populaire typiquement haïtien.

« Tap tap » : l’art sur roues haïtien

Photo : Igor Rugwiza – UN/MINUSTAH

« Dieu est amour », « merci Jésus », « le fruit de mes efforts »… chaque tap tap a un message propre, qu’il circule à Port-au-Prince ou dans les provinces. Selon le plasticien Oldy Joël Auguste, « ces messages visent à remercier Dieu, un ‘loa’ (esprit vodou), un ami ou encore soi-même. Ils sont aussi un proverbe du terroir et même une mise en garde ».

Le plus souvent ces inscriptions sont accompagnées d’images pieuses du Christ, de saints catholiques, d’esprits vodous ou encore de personnages publics comme des stars de cinéma, du sport, de la musique ou même de politiciens. Ce que M. Auguste appelle « le culte de la personnalité ». « Les gens se cherchent et expriment leurs propres désirs ou souhaits à travers ces œuvres d’art », ajoute-t-il.

A l’intérieur des tap tap, la décoration tapageuse est de mise, avec des tapisseries, des lumières multicolores, sans oublier de gros haut-parleurs d’où sort une musique saturée. Le fondateur de l’Association professionnelle des artisans tap tap autobus haïtiens (APATAH), Ancener Petit-Bois, explique que « la conception d’un tap tap réunit des charpentiers, des décorateurs, des électriciens, des soudeurs, des artisans et des peintres ».

Bien qu’il n’existe aucune usine d’assemblage ou de construction d’automobiles en Haïti, le tap tap reste une référence typique du pays. « Il suffit qu’on nous donne un véhicule et on se charge de le transformer en tap tap », explique M. Petit-Bois.

Une tradition vieille de plus de 70 ans

Le premier tap tap à faire son apparition en Haïti est le ‘Manman Mari’, faisant référence à la Vierge Marie, en 1941. A cette époque, ces véhicules assuraient uniquement le trajet entre Port-au-Prince et les villes de province. « Ils étaient peints de plusieurs couleurs avec un proverbe du terroir », ajoute le plasticien et artiste Oldy Joël Auguste.

Ce n’est qu’à partir des années  80 que l’on retrouve des tap tap dans la capitale haïtienne, assurant le trajet de Port-au-Prince (depuis le quartier de Fontamara, au Sud de la ville) vers trois grands axes de l’époque, à savoir Cité Simone (l’actuelle Cité Soleil), l’aéroport et la commune de Delmas.

Il faut attendre la deuxième moitié des années 80 pour que des effigies de saints catholiques, des loa vodous et autres portraits ornent l’extérieur des tap tap. A cette époque, les bus commencent aussi à diffuser de la musique contemporaine. Selon Oldy Joël Auguste, « comme les minibus ont fait leur apparition et étaient beaucoup plus confortables que les tap tap existants, les chauffeurs ont employé cette nouvelle stratégie pour attirer la clientèle ».

« Les tap tap colorés sont plus beaux et le son parfait », commente un jeune passager. Mais les dessins ne font pas l’unanimité. « Jadis, les tap tap avaient de belles images, maintenant ils ne diffusent que des images à caractère pornographique », riposte une passagère dans la quarantaine, qui s’insurge contre les images de femmes légèrement vêtues de plus en plus populaires parmi les chauffeurs de tap tap.

« Les tap tap commencent à perdre leur charme à cause des caricatures qui ne reflètent pas la culture haïtienne », regrette en effet Oldy Joël Auguste. « Ce sont les propriétaires des tap tap qui demandent aux peintres de dessiner de telles caricatures », avance le fondateur de l’APATAH, Ancener Petit-Bois, lui-même  peintre de profession. « Nous sommes Haïtiens et nous devons mettre en valeur notre patrimoine historique et culturel », reconnait-il. Il préfère en effet ce tap tap moderne conçu par l’association avec des représentations des héros de l’indépendance d’Haïti : Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre Pétion.

Pérenniser un patrimoine national

« J’avais 3 ans en 1973 quand j’ai vu pour la première fois un tap tap ‘Manman Mari’ à Dufort [commune de Léogane, NDLR]. Et je me suis dit qu’il fallait honorer un tel artisan », se souvient Ancener Petit-Bois qui, 30 ans plus tard, fonde l’APATAH le 21 mai 2001.

L’association fait la promotion de la culture haïtienne à travers le décor de ces bus locaux, tout en honorant les artisans. En plus des deux concours des plus beaux et plus confortables tap tap déjà organisés, l’APATAH en a également exposé dans plusieurs villes des Etats-Unis et du Canada. Et depuis 2007, 42 artisans ont bénéficié d’un voyage aux Etats-Unis, confie Ancener Petit-Bois.

Cependant l'association fait face à un concurrent de taille. Des véhicules d’occasion importés de l’étranger font leur apparition dans le pays, et ne nécessitent pas tout ce décor extérieur. Sans compter le prix élevé des matériels et des produits décoratifs des tap tap.

Malgré ces difficultés, les artisans sont fiers de défendre ce symbole de la culture populaire haïtienne. Des projets sont en cours, comme la formation des enfants des rues pour créer des emplois dans l’artisanat et lutter contre la délinquance juvénile. « Ce n’est pas un travail facile, mais on tient le coup et on avance », sourit Ancener Petit-Bois.

Jonas Laurince