Blanchet Louius, (Censini): Au-delà de la couleur de sa peau

13 juin 2017

Blanchet Louius, (Censini): Au-delà de la couleur de sa peau

Photo : Fabienne Viltus - UN/MINUSTAH

Haute taille, convivial et hospitalier, Blanchet Louius est un jeune talent Gonaïvien passé de présentation dans la cité de l’indépendance. Les notes de sa guitare accompagnant sa mélodieuse et puissante voix sont suffisantes à faire sauter de joie ses fans et épater tout un public. Et ceci avec ou sans micro. Chanteur, compositeur et guitariste, Censini de son nom d’artiste, a pourtant eu une enfance privée d’affection et de l’amour de ses proches, voir même ses parents. Durant ses premières années d’existence, il a connu la tristesse, le chagrin, la peur, le rejet de ses pairs, tout simplement parce qu’il est Involontairement né albinos. 

 

Dans divers pays du monde, les personnes atteintes d’albinisme sont souvent victimes de discrimination à cause de leur différence physique. En Haïti, le niveau est bien moindre comparé à certaine région d’Afrique où les albinos sont victimes de meurtres. Cependant, même étant minoritaire, les personnes atteintes d’albinisme en Haïti ne sont pas totalement exempt de discrimination. Censini, l’un de cette catégorie dépourvu de mélanine dès sa naissance, (élément responsable de la  pigmentation de la peau, des yeux et des poils), a connu des jours sombres durant son enfance avant de briller dans sa jeunesse.

« Quand j’étais petit, mes parents ne voulaient pas que je les accompagne pour aller à l’église », confie l’artiste, la voix emplie d’une émotion palpable. Tous les samedis, Censini qui sentait le besoin de se socialiser était contraint de se rendre dans une autre assemblée avec l’une de ses cousines. « En plus, quand un visiteur vient à la maison, mon grand frère qui, lui aussi est albinos et moi étions obligés de nous cacherPoussés  par nos parents qui ne veulent pas que leurs amis sachent qu’ils ont des enfants albinos », ajoute-il d’un air désolé.

C’est ainsi, de sa famille à son école en passant par sa communauté, Censini n’avait pas la vie tranquille. On lui collait tous les noms pour le stigmatiser : « Blan mannan [Blanc manant] », « Peau à l’envers » pour ne citer que cela. Pour apaiser ce lourd fardeau que lui infligeait la société, il a pris la décision de se faire baptiser à l’église qui selon lui, est l’endroit où l’on prêche l’amour et la tolérance. Mais même à ce niveau, plusieurs pratiquants avaient du mal à l’accepter tel qu’il est. Certains avaient même peur de s’assoir à côté de lui, de crainte qu’il ne leur transmette l’albinisme.

Pour se rendre à la maison après l’église, comme toutes les fois où il était forcé de se risquer sous le soleil, c’était pour lui une péripétie car il n’avait pas de lunettes solaires, ni chapeau ni de vêtements adéquats pour se protéger contre les rayons solaires. En effet, le phénomène de l’albinisme est selon les découvertes médicales, une particularité génétique héréditaire qui affecte la pigmentation et se caractérise par un déficit de production de mélanine. Il est donc conseillé aux personnes touchées par cette condition génétique, de ne pas s’exposer au soleil. Conscient de cette réalité, Censini de par son inspiration a composé une chanson spéciale intitulée « Mon ennemi juré » décrivant sa relation avec le soleil.  

 

 

Néanmoins, comme a dit le vieil adage, il n’y a pas de maux sans remède.  Il a vécu ses plus beaux moments aux côtés de ses amis Frandy, Alfa Mendy Dubois, Cénatus Cenat Francy et tant d’autres, qui sans arrêt lui ont remonté le moral. « Quand j’étais avec ces potes, franchement j’oubliais que je suis albinos », se rappelle Censini.

 

La musique, sa première amante

Blanchet a commencé à avoir confiance en lui à partir de sa performance scolaire. Il obtint toujours de bonnes notes à l’école, ce qui par la suite lui a valu, dès la classe de seconde, des bourses d’études scolaires. Eu égard à cet exploit, il s’est dit au fond de lui-même : « Ah bon, il y a au moins quelques choses de bon que je puisse faire, pour pousser les gens à oublier la couleur de ma peau, je ne vais pas baisser les bras ». Et c’est à ce moment qu’il commence à cultiver l’estime de soi en se valorisant au sein de son établissement scolaire aux Gonaïves.

Cependant, Blanchet Louius ne s’est pas seulement limité à son rendement scolaire. Il s’est découvert un talent caché, la musique. Dès l’âge de 14 ans,  il a commencé par explorer l’art musical qui lui sert de refuge contre tout type de discrimination. A travers la musique, il a pu refouler ses chagrins, éclater sa joie, vivre sa liberté. Par sa nouvelle passion,  il exprime en toute quiétude, ce qui lui fait mal comme ce qui fait son bonheur.

Dès lors, le micro, la guitare, le public mélomane gonaïvien et Censini font bon ménage. « La musique est mon premier amour » s’exclame-t-il. Il compte déjà dans son répertoire plusieurs morceaux tels : « Ti Georges », « Je suis un albinos », « Mon ennemi juré »,  « Nwèl pote lajwa, [Noel c’est la joie] », « Pale avè m [parles-moi] », en plus de son album qui est en préparation.

Pour continuer à grimper les marches conduisant au sommet, il s’est inscrit à un concours national de chant organisé par  une compagnie de téléphonie mobile en Haïti. Parmi les jeunes talentueux des dix départements du pays ayant pris part à ce concours,  Censini est sorti vice-champion national de l’année 2013. « C’est avec ce prix que j’ai vraiment lancé ma carrière », confie l’artiste. Il a ensuite fait le tour d’Haïti et de la Caraïbes, pour performer dans différents programmes. 

Attaché à son rêve le plus cher

Parallèlement à la musique, Censini rêve d’apporter toute son assistance aux albinos afin de les aider à éviter ce que lui il a subi. Son rêve le plus cher, c’est d’implanter aux Gonaïves premièrement et ensuite à travers tout le pays, des cliniques médicales spécialisées permettant aux albinos d’avoir accès aux soins de santé que nécessitent leur cas. Etant sensible au soleil, « ils ont besoin de crème, de lunettes solaire, de chapeau », souligne Censini, sensible de son côté à cette catégorie. Avec cette opportunité le plus prêt d’eux possible, les albinos seront en mesure de prendre bien soin d’eux et d’être informé aussi des précautions à prendre.    

 

Photo : Fabienne Viltus - UN/MINUSTAH

Né aux Gonaïves le 10 Avril 1989 d’une famille de cinq enfants dont 2 albinos, Censini est marié et a un garçonnet de 16 mois aujourd’hui. Fier et heureux de sa petite famille, à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation à l’albinisme ce 13 Juin, il encourage les parents à aimer leurs enfants, surtout ceux qui sont nés albinos. Selon Censini, ils ont besoin d’encadrement spécifique pour pouvoir s’épanouir. Il appelle d’un autre coté les albinos à croire en leur capacité et à cultiver l’estime de soi de manière à s’intégrer librement et entièrement dans la société. « J’encourage toute personne qui a un albinos dans son entourage, que ce soit à l’école, à l’église ou dans le voisinage, d’arrêter de les discriminer », exhorte Censini. « Car, que l’on soit né albinos ou non, nous sommes tous des humains » conclut l’artiste.

 

Rédaction : Fabienne Viltus