Enrayer les Violences faites aux femmes et aux filles, un devoir pour chacun

Logan Abassi - UN/MINUSTAH

7 déc 2015

Enrayer les Violences faites aux femmes et aux filles, un devoir pour chacun

Logan Abassi - UN/MINUSTAH

« Elle n’a que 8 ans. Elle a été violée par un homme cinq fois plus âgé qu’elle. Son vagin est sévèrement endommagé », raconte Marie Neyla Renélique Pierre d’une voix atone. Elle est la personne en charge des cas de violences sur les femmes à la direction départementale du Ministère à la Condition féminine et aux droits de la femme (MCFDF) aux Gonaïves.

Le visage crispé, la responsable de cette structure, ne cache pas son désarroi face à la constance d’actes de ce genre. « Certaines femmes nous arrivent méconnaissables », regrette-t-elle. A titre d’exemple, elle cite le cas d’une femme, mère de quatre enfants, le visage boursouflé, l’œil gauche au beurre noir et des ecchymoses sur le corps suite à une bastonnade que son compagnon lui a infligée.
De l’avis de plusieurs entités intervenant dans le domaine, la situation est tout bonnement critique dans le Haut-Artibonite.

En effet, en l’espace de deux mois, octobre et novembre de cette année, le Parquet du Tribunal civil des Gonaïves a déjà recensé 40 cas de violences diverses. « Les violences conjugales et les violences sexuelles sur des mineurs sont en tête de liste », informe Marie Paule Clerjuste Valentin, substitut commissaire du gouvernement. « Une femme s’est vue tabasser par son compagnon parce qu’elle a réclamé des frais d’écolage pour les enfants ou de la nourriture pour la maison », remarque la juriste. Selon elle, la dépendance économique des femmes dans les foyers constitue l’une des causes à la base des violences conjugales.
Accompagnements et défis

Depuis deux mois, la Brigade de Protection des Mineurs(BPM), entité de la Police Nationale d’Haïti qui accompagne les victimes de violences, reçoit entre trois et quatre cas par semaine. Ce sont tous des filles âgées de 6 à 12 ans.

A la réception des plaintes, elle achemine le dossier à la justice et réfère la victime à l’Institut du Bien-être Social et de Recherches Sociales (IBERS) avec lequel elle travaille étroitement pour les accompagnements psychologiques nécessaires à ces enfants. « En vue de faciliter le processus, il nous arrive d’accompagner personnellement les victimes et leurs parents à l’hôpital », explique Yolette Jean, inspectrice divisionnaire, responsable de la BPM-Artibonite.

Toutefois, les responsables de ces différentes entités sont unanimes à reconnaitre que les stéréotypes sont les principales entraves à la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles. Selon elles, une victime, au lieu d’être accompagnée et soutenue par la société, est souvent indexée et stigmatisée par ceux-là mêmes qui devraient les aider à poursuivre leurs bourreaux. L’attitude condescendante, les regards inquisiteurs, les commentaires désobligeants de certains professionnels de la santé sont le lot des victimes.

« Il m’arrive de faire le pied de grue plusieurs heures d’affilée, en uniforme, dans un centre de santé juste pour obtenir un certificat médical », déplore l’inspectrice Jean
De son côté, Marie José Constant Luxana, elle aussi inspectrice divisionnaire, en charge des affaires féminines et des questions de genre à la direction départementale de la Police Nationale d’Haïti(PNH), dénonce les menaces et les pressions psychologiques auxquelles les femmes violentées sont exposées. Certaines refusent de poursuivre leurs bourreaux par crainte de représailles ou elles désistent au beau milieu d’une procédure, faute d’argent.

Dans le cas d’un couple, la femme est très souvent harcelée par la famille de son conjoint. Il y a également lieu de souligner, poursuit l’inspectrice, « la dépendance économique des femmes par rapport à leur mari ».

Inspectrice divisionnaire PNH, Marie Jose C. Luxana:
 

A tous ces obstacles s’ajoutent, selon Maitre Valentin, des difficultés d’ordre structurel liées à l’absence de résidence connue par bon nombre d’haïtiens. « Si le prévenu n’est pas appréhendé dès le début, il sera difficile de le faire après désistement de la partie civile. Elle est la seule à pouvoir guider la police ou identifier l’agresseur », explique l’avocate. Or, parfois, la victime porte plainte juste pour obtenir un mandat d’amener qui lui servira de moyen de pression contre l’agresseur ou sa famille en vue d’arriver à une entente.

Face à cette situation, les différents acteurs intervenant dans le domaine plaident en faveur de la mise en place d’une structure pouvant assurer l’accompagnement psychologique et offrir une assistance économique aux victimes. La mise en place d’un lieu de refuge pour les victimes faciliterait aussi l’aboutissement de l’enquête judiciaire. En effet, se sachant à l’abri des menaces, des chantages et/ou des représailles, la victime serait plus disposée à coopérer avec la justice.

Intensification de la sensibilisation

Les structures d’accompagnement étant en place, il faut «intensifier la mobilisation pour parvenir à un changement de comportement et parvenir à enrayer le mal », selon les responsables.

Voilà pourquoi, récemment, une campagne visant à sensibiliser la population et les acteurs judiciaires de différentes communes a été entreprise. Des autorités judiciaires, accompagnées de l’IBERS et de la section des Droits de l’Homme de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), ont affiché dans les tribunaux de paix, les mairies et les bureaux des collectivités territoriales une circulaire interdisant aux juges de paix de traiter des cas de viols. Des infractions qui relèvent désormais de la compétence du Parquet des Gonaïves.

La date du 25 novembre, marquant la Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, est également exploitée dans le cadre de cette lutte. Des séances de sensibilisation dans les écoles sont organisées par diverses organisations intervenant dans le domaine. C’est aussi une occasion pour les femmes de l’Artibonite de dresser, chaque année, un cahier de charges sur la thématique.

Des artistes du département sont également mis à contribution. Ils produisent des textes, des piécettes sur le thème. Des produits artisanaux et alimentaires sont exposés. « Nous devons utiliser tous les canaux de communication pour parvenir à un changement de mentalité et de comportement », conclut Marie José Constant Luxana.

Rédaction : Taina Noster