Face aux fraudeurs, la permanence judiciaire pendant les élections

5 nov 2015

Face aux fraudeurs, la permanence judiciaire pendant les élections

Igor Rugwiza - UN/MINUSTAH

25 octobre 2015 , Port au Prince - « J’ai décidé très tard, environ une heure avant la fermeture des bureaux de votes, de me rendre aux urnes. Surtout, quand j’ai commencé à entendre qu’à travers le pays, la police a arrêté plusieurs fraudeurs et les a remis immédiatement à la justice », explique Hébert. C’est un homme d’affaires d’une cinquantaine d’années. Il a voté dimanche dernier pour la deuxième fois de sa vie, accompagné de son fils de 21 ans qui devait poser ce geste patriotique au même centre de vote que lui dans la capitale. Ce climat de sécurité qui a incité Hébert à se rendre aux urnes le jour du scrutin, n’est nullement parti d’un hasard. C’est le fruit de toute une série de planifications du ministère de la justice et de la sécurité publique avec les Commissaires du gouvernement, les Juges de paix en collaboration avec la police et la MINUSTAH. Une semaine avant les élections du 25 octobre 2015, le Ministre de la Justice lui-même, Me. Pierre Richard Casimir, a effectué une série de visites à travers différentes villes du pays pour rencontrer Juges paix, Doyens des Tribunaux et Commissaires du gouvernement dans les parquets. Il était accompagné de M. Jean Etienne Mercier, membre du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et Représentant des Juges de Paix au sein de cette institution. Les mots d’ordre étaient : Permanence dans les Tribunaux le jour des élections, neutralité, impartialité et tolérance Zéro. Falsification de mandats octroyés par le CEP aux partis politiques et organisations chargées d’observer les élections, possession de plusieurs cartes d’identification nationale et de bulletins sont les diverses causes pour lesquelles quatre personnes ont été arrêtées et jugées séance tenante au Tribunal civil de Port-de-Paix sur requête du parquet. C’est la conseillère électorale, Lourdes Edith Joseph qui en a fait l’annonce lors d’un point de presse bilan le 25 octobre 2015, pour parler de la journée électorale, qu’elle a qualifiée de succès. « Suite aux instructions qui nous ont été passées, environ une cinquantaine de juges de Paix dans tout le département du Nord-Ouest, a été instruit aux fins de procéder aux constats matériels des faits immédiatement et de trancher avec célérité suivant les cas », a fait savoir le commissaire du gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-de-Paix, Me. Antoine Frantz Claude. Des quatre personnes jugées au Tribunal à la demande du parquet, une d’elle a été libérée pour insuffisance de preuves, deux autres sont condamnées aux paiement d’amendes au profit de l’état, et le dossier de la dernière est acheminée au cabinet d’instruction. Me. Antoine estime qu’il s’agit d’ « une première dans l’histoire des élections en Haïti ».   

 

Même dans d’autres endroits où il n’y a eu que d’incidents légers, la justice est restée en éveil attendant d’éventuels cas. Les acteurs concernés, dont les Bureaux électoraux départementaux, ainsi que les autorités judicaires rapportent notamment : Dans l’arrondissement de Borgne, au sud-ouest du Cap-Haitien, la structure électorale mise en place à l’occasion n’a pas pu être activée. Quatre centres de vote ont été privés d’élections, suite à une attaque d’un convoi la veille ayant abouti à l’incendie des matériels sensibles et non sensibles. La police compile son rapport qui sera transmis à la justice pour les suites de droit. Par ailleurs, les élections se sont déroulées de façon normale dans les autres 11 Centres de Vote de la ville. Dans le département du Sud, 12 arrestations ont été effectuées pendant le déroulement du vote, selon une source policière. Les infractions les plus répétées sont tentatives de fraudes électorales, usage de faux, associations de malfaiteurs et détention illégale d’armes à feu. Les auteurs d’infractions mineures ont recouvré la liberté le même jour, mais pour les cas graves, les contrevenants ont été retenus par la Police, puis déférés à la Justice. Grand’Anse, à Pestel et Corail, les juges de Paix, respectivement Wesh Jean Garry et Etienne Isaac, reconnaissent que la stratégie utilisée et le respect de certaines garanties promis avant les élections par le gouvernement haïtien, sont avant tout à la base de cet impact positif sur la réalisation des élections dans le pays le 25 octobre dernier.

 

Et les acteurs de la justice ne comptent pas lâcher prise.

 

Conformément aux instructions du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, les Parquets et les Tribunaux de Première Instance de Hinche et de Mirebalais ainsi que les Tribunaux de Paix des deux juridictions, avaient décrété la permanence pendant toute la journée du 25 octobre 2015 et même après. Le Commissaire du gouvernement près le parquet de Hinche, Jean René Michel, a recensé pour le Plateau Central que : « 29 personnes ont été interpellées pour des infractions diverses, parmi elles, détention d’armes à feu, possession de faux mandats, tentative de sabotage des votes etc. Le parquet de Hinche a enregistré 19 cas et celui de la juridiction de Mirebalais 10 cas. Plusieurs condamnations en ont suivi, dont dans un cas, une peine correctionnelle de 3 ans d’emprisonnement ferme ».

 

 

 

Selon le Porte-parole de la PNH, M. Frantz Lerebours, au total « 278 arrestations ont été effectuées sur l’ensemble du territoire ». Elles sont consécutives à des infractions dans le cadre des élections. Par ailleurs, près de 70% de ces personnes arrêtées à travers le pays ont été transférées à la justice. « Il est clair aussi que cette permanence a permis de restreindre et réprimer les risques de gabegies électorales », si on en croit Jean René Michel. Les missions définies par les acteurs de la chaine judiciaire ont, en ce sens, été récompensées. Pourtant, Me. Bernard St-Vil, Doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince ne parle pas de « grande première » dans l’histoire du pays. La loi, selon lui, a toujours fait cette obligation.

 

 

 

Rappelons qu’avec l’appui de la Section des juridictions modèles de la MINUSTAH, l’ancien Secrétaire d’Etat à la Justice, Me. Jacquenet OXILUS, a organisé du 24 Avril au 07 juin 2015, une série d’ateliers, au profit de plus de 700 acteurs de la chaine pénale, sur la mise en œuvre de la procédure de comparution immédiate et la redynamisation des permanences dans tous les parquets, Tribunaux de paix et commissariats de police d’Haïti. La mise en œuvre de la procédure de comparution immédiate dans les 18 juridictions du pays, conformément à la loi du 6 mai 1927, répond à la nécessité d’assurer le traitement en temps réel des dossiers dans les Tribunaux correctionnels et contribue, en fixant immédiatement les prévenus sur leur sort, à diminuer le flux de personnes placées en détention préventive. Cette procédure a pleinement pris forme le jour même des élections, puisqu’elle a permis de juger immédiatement des personnes arrêtées et déférées pour des infractions correctionnelles liées aux élections. Partant du constat de certains observateurs électoraux et du témoignage de bons nombres d’électeurs, si la permanence de la justice lors des dernières élections du 25 octobre 2015 est loin d’être une innovation, en raison de l’existence de la loi sur la procédure de comparution immédiate en matière de flagrant délit correctionnelle depuis le 6 mai 1927, la stricte application de cette dite loi et son impact sur le processus ce jour-là, l’a tout de même valorisé, « en dissuadant les éventuels fraudeurs et fauteurs de troubles, en comparaison aux élections du 9 aout 2015 ».  

Rédaction : Anderson LAFORET  

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