Journée de la Radio : En Haïti quel rôle joue-t-elle dans le développement ?

14 fév 2012

Journée de la Radio : En Haïti quel rôle joue-t-elle dans le développement ?

Les statistiques sont plus que parlantes : près de 200 stations radiophoniques opèrent en Haïti, desquelles plus d’une cinquantaine dans la capitale, Port-au-Prince. Sans nul doute, la radio s’illustre comme un véritable partenaire au développement. Mission accomplie ? A l’occasion de la Journée Mondiale de la Radio, le 13 février, bien de questions refont surface.

Journée de la Radio : En Haïti quel rôle joue-t-elle dans le développement ?

Photo : UN/MINUSTAH

L'apparition de la radio dans l’espace médiatique haïtien remonte à 1948, mais c'est en 1975 que l'on a véritablement assisté à une certaine prolifération des radios. Avec la chute, en 1986, du régime des Duvalier, quelque peu synonyme de la liberté d’expression, l’expansion de la presse s’est confirmée.

Selon nombre de témoignages, l’essor des radios aurait d’abord servi à « faire entendre les revendications populaires », à une époque où était en vogue le slogan « Haïti Libérée ». Une époque aussi des « tribunes libres » ou la possibilité d’expression anonyme sur les ondes, se rappelle le PDG de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH), Pradel Henriquez.

Nombre de facteurs économiques ont aussi permis à ce média d’avoir sa popularité d’aujourd’hui, à savoir le coût relativement abordable d’un poste radio sur le marché, l’alternative de le faire fonctionner à l’aide de batteries, dans un pays où l’accès au courant électrique n’est guère aisé pour tous. Autre facteur, et pas des moindres, la culture orale étant très développée au sein de la population haïtienne, notamment en raison du taux élevé d’illettrisme, nombre d’émissions sont diffusées en créole, souligne Jacques Desrosiers, Secrétaire général de l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH).

Aujourd’hui, la radio a atteint sa vitesse de croisière. Et nombreux sont ceux qui croient en sa capacité à jouer un rôle déterminant dans les efforts pour le développement d’Haïti. Une vision que partage M. Desrosiers, selon qui « la radio permet d’atteindre un nombre incalculable de gens en même temps et à des endroits les plus difficiles d’accès du pays ». Aussi, croit-il que « ce média, s’il est bien utilisé, peut aider le pays à résoudre certains maux affectant la population ». A titre d’exemple, le Secrétaire général de l’AJH souligne que « grâce à des campagnes de sensibilisation radiodiffusées, les efforts de lutte contre l’épidémie du choléra et le SIDA ont apporté des résultats significatifs».

Les catastrophes naturelles ne sont pas en reste. Le PDG de Signal FM, l’unique radio opérationnelle aux lendemains du tremblement de terre du 12 janvier 2010, Mario Viau, se rappelle encore son expérience extraordinaire, lors d’un entretien avec l’équipe vidéo de la MINUSTAH: « c’était la ruée vers la station. Certains y venaient simplement pour dire à leurs proches, en Haïti ou à l’étranger, qu’ils étaient vivants. La radio était ainsi un lieu de rencontre. D’autres, recherchant des proches, faisaient passer des annonces et attendaient devant les locaux. D’autres encore y venaient pour solliciter l’aide de la radio pour pouvoir atteindre les autorités et ainsi sauver des personnes emprisonnées sous les décombres des bâtiments effondrés ».

Outre ce rôle humanitaire, le Directeur général de la TNH croit que, comparée à la télévision, la radio est un pilier de la démocratie, en ce sens qu’« elle offre l’opportunité à la libre expression de l’opinion ». Mais en Haïti, certains dérapages font douter de la capacité de ces organes de communication de remplir leur véritable mission.

Des maux et des remèdes !

De par son fonctionnement, la radio suscite bien des critiques. En pôle position, l’« explosion fréquentielle », constatée depuis la chute du régime de Jean Bertrand Aristide, en 2004. Selon Pradel Henriquez, qui déplore « les interférences dans les fréquences qui en découlent », cette situation est quelque peu illustrative de la mauvaise gestion de celles-ci par « le Conseil National des Télécommunications (CONATEL), [organe régulateur de ce secteur-ndlr] est tout simplement dépassé par les événements ».

Pour sa part, M. Derosier de l’AJH déplore l’existence de « radios pirates », surtout en dehors de la capitale. Par ailleurs, reconnait Marcelin Montaigne, qui a dirigé, entre 2005 et 2011 le CONATEL, « le nombre pléthorique de radios ne signifie pas pour autant que la qualité est au rendez-vous », même si, reconnait-il, « ce déficit de qualité au niveau des programmes servis aux auditeurs est souvent lié à un problème économique, étant donné que la grande majorité des stations de radio misent sur la publicité pour fonctionner et rémunérer leurs employés».

« La mauvaise qualité de certaines émissions et programmes » est aussi décriée par M. Henriquez, qui regrette que « notre société est passée de la liberté à l’anarchie, faute d’une instance de contrôle du contenu de l’audiovisuel ». Pour empêcher ce média de s’autodétruire, Henriquez insiste sur l’impérieuse nécessité de professionnaliser le secteur, ce qui passe entre autres par l’« ouverture de bonnes écoles de journalisme ».Et d’ajouter que « le CONATEL se doit aussi de jouer son rôle d’arbitre des fréquences. Quant aux associations et syndicats, ils sont invités à évaluer la performance de leurs membres ».

Reconnaissant les faiblesses du CONATEL, son ex-directeur, Marcelin Montaigne, croit que l’expansion des radios est une bonne chose pour la liberté de la presse, en ce sens qu’elle offre des diversités de vue, de tendances et de sensibilités. Ce qui crée, dit-il, un certain équilibre, aucun secteur ne pouvant prétendre avoir le monopole de l’opinion.

Rédaction : Pierre Jerome Richard et Uwolowulakana Ikavi